TRIBUNE
							 
							 
							 
							 
							 
							 
							 
							 
							 
							 
							
							
							Panorama de la peinture hyperréaliste
							
							
							(ex  Hyperrealism.net)
							Introduction
							Si l’Hyperréalisme ( terme français équivalent aux 
							termes américains photorealism et superrealism 
							) a fait l’objet de nombreuses publications à l’époque 
							de son explosion à la fin des années 60 et au début 
							des années 70, il est par la suite devenu pratiquement 
							impossible de trouver un article, une revue ou un ouvrage 
							traitant le sujet selon une approche globale.
							Comme s’il s’était agi d’un mouvement spasmodique de 
							mode aussi vite oublié qu’il était apparu.
							Or la plupart des peintres initiateurs de ce mouvement 
							ont continué, enrichi et souvent diversifié leur œuvre, 
							relayés par une, puis deux générations de nouveaux artistes.
							Il semblait donc indispensable, 30 ans après son émergence, 
							de faire un bilan de ce qui apparaît comme un mouvement 
							majeur tant sur le plan de son histoire que de son actualité.
							Prologue
							Les rapports de l’homme avec la réalité ne sont jamais 
							figés. Ils échappent constamment à quelque emprise que 
							ce soit, car si l’homme fait la réalité, la réalité 
							fait à son tour l’homme. C’est un rapport de force permanent 
							ou il n’y a ni gagnant ni perdant. Mais au-delà du champ 
							de bataille, c’est une symbiose qui s’opère. L’histoire 
							n’en retient que quelques moments de rupture.
							Si l’on se place dans le cadre de l’évolution de la 
							création artistique, l’hyperréalisme représente un de 
							ses moments de rupture, car il consacre ce qui hier 
							était suspect voire sans intérêt. Rupture également 
							parce que le travail artistique avait depuis quelques 
							années tourné le dos à la peinture et depuis bien longtemps 
							à la figuration qui renvoie à la réalité. (11)
							Tout au long de la période pendant laquelle l’art abstrait 
							a dominé, le réalisme a recherché une nouvelle identité 
							tant en Europe qu’aux Etats-Unis. En se cramponnant 
							à des traditions de style périmées et en refusant de 
							rompre les liens avec l’iconographie qui y était rattachée, 
							le réalisme avait pour la plus grande part dégénéré 
							en une figuration purement stylistique, qui avait perdu 
							tout contact avec la réalité et se trouvait dans l’impossibilité 
							de se développer et d’incarner le réalisme des temps 
							modernes. (3)
							Né à la fin des années soixante le mouvement pourrait 
							n’être considéré que comme l’un des nombreux avatars 
							de la peinture moderne si les peintres qui ont initié 
							le mouvement n’avaient continué de produire et d’améliorer 
							leur technique, relayés par une puis deux générations 
							d’artistes plus jeunes qui perpétuent et renouvellent 
							la tradition
							L’hyperréalisme n’est pas un mouvement au sens formel. 
							Il n’a pas de manifeste et beaucoup de ses artistes 
							ne se sont jamais rencontrés.
							Peut-être y a t’il lieu de parler d’une sensibilité 
							commune : une position qui s’établit à partir des relations 
							existant entre l’artiste et son sujet. Ces relations 
							se caractérisent par la distance à la fois affective 
							et, par l’usage de la photographie, réelle, mais également 
							par un engagement total et laborieux de l’artiste soucieux 
							de rendre avec exactitude la forme, la lumière et la 
							couleur .(5)
							L’hyperréalisme est une tendance relativement unifiée 
							ou chaque peintre traduit quasiment de la même manière 
							le paysage contemporain et plus particulièrement les 
							images d’une société moderne. Ce n’est pas le style 
							qui les différencie mais le thème privilégié par chacun 
							d’eux et la manière dont le sujet est vu.(4)
							Rejetant la subjectivité affective propre à la peinture 
							réaliste traditionnelle et académique, le peintre hyperréaliste 
							ne dit pas au spectateur comment il doit ressentir le 
							sujet, il affirme tout simplement qu’il existe et qu’il 
							vaut la peine d’être regardé parce qu’il existe. Les 
							efforts de l’artiste (souvent plusieurs mois de travail 
							sur une même peinture) imprègnent les choses d’une signification 
							nouvelle, mais elles ne sont ni surestimées ni sous 
							estimées.
							On a pu qualifier de « virtuoses » les hyperréalistes 
							parce qu’ils parvenaient à une perfection telle que 
							l’on en arrivait à confondre leurs toiles avec des photographies.(4)
							Certains argumentent qu’ainsi ces peintres ne présenteraient 
							qu’un simple constat froid de leur environnement, sans 
							analyse subjective.
							Au-delà de cette absence de commentaires directs, il 
							paraît réducteur de ne considérer l’hyperréalisme que 
							comme une représentation mécanique.
							Cette apparente impersonnalité est en effet démentie 
							par le fait que, ces peintres prenant eux-mêmes les 
							photos à partir desquelles ils travaillent, une considérable 
							latitude leur est laissée en termes de sujet, de disposition, 
							d’éclairage, de composition et de couleurs.
							De plus un grand nombre de peintres modifient la photo.
							Enfin le fait de peindre laborieusement, ceci pendant 
							des mois, ce que l’appareil photo peut instantanément 
							reproduire sans effort n’est pas dénué de sens : le 
							tableau n’est pas une photo et lors de ce lent processus 
							d’effort humain, il acquiert sa propre personnalité 
							pour délivrer une vision intensifiée et densifiée de 
							ce qu’il représente. 
							En retour le tableau restitue lentement cette charge 
							de travail et de recherche dont il a été imprégné.
							Il se dégage d’autre part, au travers du caractère illusionniste 
							de ces représentations minutieuses des moindres détails 
							d’un reflet dans une vitre ou de chaque cheveu d’une 
							coiffure, une folie fascinante et effrayante. Aussi, 
							bien qu’il soit considéré comme froid et dépourvu de 
							tout engagement, l’hyperréalisme présente un caractère 
							héroïque : en choisissant délibérément de faire lentement 
							ce que certains media peuvent réaliser instantanément 
							et sans effort, il affirme la valeur de l’effort humain.(5)
							On peut trouver dans cette vieille idée romantique de 
							l’épuisement des accents de performance.
							Il y en a beaucoup qui continuent à s’hypnotiser sur 
							l’aspect illusionniste des images hyperréalistes. On 
							se sent en quelque sorte complexé devant ce retour en 
							force du figuratif. L’on oublie qu’il y a dans l’hyperréalisme 
							beaucoup des qualités de l’illusionnisme ce qui est 
							beaucoup plus important.
							
							Un adorable leurre (6)
							Les artistes contemporains n’ont jamais tant abusé 
							du mot « travail » que depuis qu’ils ne font rien et 
							n’ont jamais tant aligné la liste de leurs « travaux 
							» que depuis que ceux-ci se sont réduits à des gestes 
							le plus souvent passablement dérisoires et vains, comme 
							d’envoyer des textes par la poste ou de coller des bandes 
							verticales sur des murs. Alors en ce retournement nécessaire 
							qui s’opère aujourd’hui, voit-on, comme réagissant contre 
							cet oubli du corps dans lequel l’art s’est enfoncé, 
							l’œuvre s’étant à ce point dématérialisée qu’elle exclut 
							toute maîtrise ou tout simplement tout savoir-faire, 
							l’artiste revenir derechef vers le corps en particulier 
							dans ses deux formes extrêmes, inversées mais complémentaires, 
							que sont le body art et l’hyperréalisme…Ainsi pour appliquer 
							son pouvoir l’artiste hyperréaliste aurait-il besoin 
							de ces prolongements artificiels des membres que sont 
							le pinceau, le couteau à palette, l’aérographe, désormais 
							compliqués de toute cette prothèse que sont l’appareil 
							photographique, l’appareil de projection ou l’épiscope, 
							le tout consistant toujours, de toute façon, à redoubler, 
							prolonger ou projeter une image de soi vers le monde, 
							c’est-à-dire d’établir un pont entre l’organisme et 
							sa réalité, à ré instaurer, toujours, l’image d’un adorable 
							leurre.
							 
							Le retour de la technique
							L’hyperréalisme renonce à s’affranchir des contraintes 
							et des limites de la technique.
							Bien au contraire il retourne vers la peinture de chevalet. 
							Il rétablit les procédés de la peinture conventionnelle 
							tout en vidant celle-ci de son contenu.
							Ce retour passionné à l’acte pictural s’est fait jour 
							pendant une période d’abstinence picturale pendant laquelle 
							les critères techniques et les critères d’appréciation 
							se sont perdus.
							L’histoire a cependant relégué le réalisme objectif 
							dans une cabine de seconde classe. 
							Pour le grand art, on ne se contente pas d’une pure 
							description. C’est seulement lorsque le sujet de la 
							peinture a renoncé à la pure ressemblance et a opté 
							pour une véritable signification, que l’histoire adopte 
							son aspect artistique.
							L’hyperréalisme, compte-rendu paisible et littéral des 
							réalités visuelles occupe de ce fait encore une position 
							embarrassante. Il existe cependant deux notions complémentaires, 
							si on les place au-delà du dogme de modernité, qui plaident 
							en faveur de l’art hyperréaliste : d’une part le réalisme 
							est incontestablement lié au sujet et d’autre part comme 
							le souligne Don Eddy, l’apparence du monde est vraiment 
							plus excitante que l’apparence de l’art.
							Sharp focus et Gigantic scale
							Une des caractéristiques majeure de l’hyperréalisme 
							est la représentation fréquente en gros plan et très 
							détaillée d’une partie d’un ensemble (Sharp focus).
							
							L’agrandissement démesuré d’un sujet est une autre forme 
							d’abstraction : en séparant celui-ci de la réalité ordinaire 
							il lui confère une nouvelle identité 
							( Gigantic scale).
							Les peintures souvent de très grand format, font alors 
							surgir des formes abstraites ou des constructions imaginaires 
							qui révèlent quelque chose de l’ordre caché de l’environnement 
							quotidien.
							Les peintres s’attachent ainsi à faire apparaître diverses 
							formes tirées des profondeurs de l’image et l’on est 
							frappé par l’impression que corrélativement, les objets, 
							les scènes familières deviennent des « miniatures du 
							monde
							Nous sommes redevables de l’expression Sharp focus à 
							Sydney Janis qui l’a utilisée pour la première fois 
							comme titre d’une exposition d’hyperréalistes dans sa 
							galerie de New York en 1972. Il voulait opposer le Sharp 
							focus au Gigantic scale titre qu’il donnera à sa seconde 
							exposition réaliste.(7)
							Le réel, le symbolique et l’imaginaire
							L’historien de l’art américain Hal Foster, qui a 
							appliqué dans son ouvrage intitulé The Return of the 
							Real (1996), la division psychanalytique tripartite 
							de la réalité énoncée par Jacques Lacan – le réel, le 
							symbolique et l’imaginaire – considère l’hyperréalisme 
							( qu’il préfère appeler « superréalisme ») comme engagé 
							dans une quête hyperbolique de l’apparence dont le but 
							est de masquer une réalité refoulée. Le réel appréhendé 
							de ce point de vue psychique est une zone d’obscurité 
							située au cœur de l’existence, que nous souhaitons éviter 
							et qui ne peut être représentée.
							Selon Foster, de par l’angoisse que traduit son intérêt 
							pour les surfaces brillantes et réfléchissantes, l’hyperréalisme 
							exprime ce qu’il tente de dissimuler.(8)
							Hyperréalisme et trompe l’œil
							Confronté à une peinture hyperréaliste, vous n’avez 
							pas l’illusion de regarder une moto, une vitrine de 
							magasin, un flipper ou des bouteilles de ketchup.
							Peu importe la précision avec laquelle les motifs sont 
							reproduits, vous savez que vous êtes devant une image.
							Le contexte n’est pas le bon, l’échelle est disproportionnée, 
							le langage visuel est celui de la photographie.
							
							Une société du spectacle
							Le situationniste Guy Debord décrivit dans les années 
							60 comment la vie en collectivité fondée sur le commerce 
							moderne constituait une « société du spectacle », une 
							réalité irréelle où les images régissent les relations 
							sociales. Lyotard et le sociologue Jean Baudrillard 
							devaient également tenir compte de la notion de spectacle 
							dans leurs écrits.
							Ces deux théoriciens du post-modernisme voient dans 
							la culture du capitalisme américain une façon de surmonter 
							ou de supplanter la réalité, et un passage vers le simulacre, 
							une région de désir illimité.(8)
							Toute représentation de la réalité est un simulacre. 
							C’est pourquoi la réalité reproduite est une fiction. 
							Lorsqu’un peintre projette une photo sur une toile et 
							peint ensuite d’après la photo projetée, il ne traduit 
							en fin de compte que la fiction de la réalité qu’il 
							a vécue, qu’il a pensée et qu’il a travaillée.
							Le tableau hyperréaliste devient ainsi la réalité de 
							cette fiction puisqu’il traduit sans ambiguïté tout 
							le processus de saisie de cette réalité, et ce depuis 
							sa perception jusqu’à sa restitution matérialisée.
							Deux circuits se croisent constamment, celui de la photo 
							et celui des sujets représentés. Car la photographie 
							joue le rôle d’intercepteur. Elle tend un piège dans 
							lequel la réalité se fige. Ensuite l’objet est réanimé, 
							il retrouve sa respiration initiale, mais l’équation 
							mathématique entre la réalité et la fiction est rompue.
							Prétendre que la peinture hyperréaliste se contente 
							de reproduire la réalité est un contresens puisque l’image 
							relègue bien souvent la réalité au second plan.
							Photographie : des rapports complexes
							La profusion d’images véhiculées par la vidéo, le 
							cinéma ou la photographie a changé notre manière de 
							voir et les hyperréalistes enregistrent ces changements.
							Aujourd’hui les images diffusées par les médias sont 
							aussi importantes que les phénomènes réels. Elles modifient 
							notre perception des phénomènes réels et contribuent 
							à hiérarchiser leurs valeurs.
							La photographie est ainsi au cœur du processus.
							Toute la peinture hyperréaliste a ainsi affaire avec 
							une réalité de seconde main, une réalité remaniée, remaniée 
							d’abord par la photographie et ensuite par la reproduction 
							sur la toile.
							La photographie est au cœur du mouvement.(5)
							Le peintre hyperréaliste se sert de la photographie 
							souvent tout à fait consciemment pour rompre avec les 
							habitudes de la représentation picturale classique.
							John Salt fait ainsi remarquer que les photographies 
							« permettaient de se débarrasser plus facilement de 
							l’influence des autres peintres ».
							L’idée que la photographie contribue à libérer l’artiste 
							des anciennes formes de réalisme a été reprise par Tom 
							Blackwell : « l’objectif déforme en fonction des conventions 
							classiques de la perspective ou des besoins de la représentation 
							picturale ».
							Les hyperréalistes se servent donc de la photographie 
							pour établir une distance entre eux et le sujet.
							La photographie fait passer l’image d’un plan à trois 
							dimensions à un plan à deux dimensions d’une manière 
							qui exclut les choix de l’artiste, choix qui pourraient 
							être fondés sur des préférences affectives ou psychologiques.
							Néanmoins la photographie n’est pas considérée comme 
							un simple outil par tous les artistes. Bien qu’ils l’utilisent 
							pour se distancier du sujet et se libérer des conventions 
							esthétiques du passé, la photographie constitue pour 
							eux une nouvelle manière d’appréhender les sujets.
							Les mêmes peintures ne pourraient pas être peintes sans 
							photographies et la visualisation photographique fait 
							partie de l’idée de la peinture.
							« Je ne vois pas comment je pourrais faire l’un sans 
							l’autre » dit Estes, décrivant le rapport étroit qui 
							règne entre sa peinture et la photographie. (5)
							En réalité Estes, comme beaucoup d’autres artistes, 
							prend une liberté considérable avec la photographie 
							: il prend plusieurs clichés d’un même sujet pour obtenir 
							le maximum d’informations et ces informations sont ensuite 
							intégrées dans la peinture.
							Il convient ainsi de distinguer entre les peintres qui 
							utilisent la photographie pour représenter ce que voit 
							l’objectif et ceux qui utilisent celle-ci pour représenter 
							ce que voit l’œil.
							« Il y a des gens qui pensent qu’à partir d’une photo, 
							on ne peut faire qu’une peinture. Mais on peut faire 
							autant de peintures d’après une photo que d’après la 
							vie réelle » remarque Chuck Close.
							L’hyperréalisme a facilité une fertilisation croisée 
							entre la peinture et la photographie. Ce dialogue permanent 
							entre les deux techniques joue un rôle important dans 
							l’art contemporain. 
							Les œuvres de Cindy Shermann, Andreas Gursky, Robert 
							Longo, Jack Goldstein sont là pour en témoigner.
							On n’entend pas dire à propos des œuvres hyperréalistes 
							« c’est tout à fait la réalité », mais « c’est tout 
							à fait une photo ». Cet illusionnisme ne devient que 
							rarement le trompe l’œil d’un objet réel. Il rappelle 
							toujours que la photo se trouve toujours entre la réalité 
							et l’art et que ce monde d’entre deux fait l’objet de 
							l’œuvre.
							Ce n’est pas la réalité qui importe mais la photographie, 
							car c’est celle-ci qui constitue le sujet de l’œuvre.
							L’artiste saisit et communique le message de l’objectif. 
							Il affirme l’intégrité de son sujet tout en visant à 
							la perfection.
							Il y a un enfin dans ces rapports ambigus un véritable 
							problème avec la reproduction photographique des tableaux 
							hyperréalistes. En effet celle-ci tend à revenir vers 
							la source d’origine, la photo. De fait la peinture comme 
							telle s’avère inphotographiable.
							La reproduction de n’importe quelle œuvre de Picasso, 
							Matisse ou Rembrandt vous dit quelque chose de ce à 
							quoi la peinture ressemble alors qu’une reproduction 
							d’un tableau hyperréaliste ressemble à un fac-similé 
							de sa source photographique.
							Selon Malcom Morley : « C’est une manière d’affirmer 
							l’autonomie de la peinture comme objet, parce que seule 
							la peinture vous dit quelque chose d’elle - même ».
							L’envers de l’hyperréalisme : l’abstraction ? 
							Les peintres hyperréalistes ont été influencés par 
							les expédients utilisés par les peintres abstraits : 
							agrandissement ou distorsion de l’échelle, uniformité 
							de la surface, gigantisme des œuvres, prééminence de 
							l’image.
							Par exemple le fait de traiter un sujet en isolant certains 
							fragments de leur contexte et en les reproduisant agrandis 
							de façon mimétique leur confère une identité propre 
							avec souvent une forte charge d’abstraction.
							Ceci se vérifie tout particulièrement sur certains détails 
							de tableaux de Chuck Close qui se révèlent à l’observation 
							des toiles abstraites.
							L’agrandissement d’une partie de pneu chez Don Eddy 
							devient un simple croisement de lignes plus proche de 
							Stella que de l’hyperréalisme.
							La froideur attribuée à la sensibilité hyperréaliste 
							correspond à une manière abstraite de voir les choses 
							sans commentaire et sans engagement.
							L’hyperréalisme est plein de références à la peinture 
							abstraite ainsi qu’en témoignent les compositions de 
							Cottingham, de Blackwell, de Bowen ou de Detrait en 
							Europe.
							Même l’apparente frontalité d’Estes ou de Goings est 
							composée et traitée dans un sens abstrait. Les reflets 
							sont souvent utilisés, chez Pelizzari par exemple, comme 
							éléments abstraits comme le sont les barrières et les 
							lignes de stationnement dans l’œuvre d’Eddy. 
							De fait certains peintres hyperréalistes sont devenus 
							abstraits et inversement.
							La façon dont certains artistes préparent le sujet qu’ils 
							vont reproduire est influencée non seulement par l’art 
							abstrait mais aussi par le travail conceptuel.
							Ainsi Stephen Posen prépare-il des sculptures à grande 
							échelle au moyen de boites et d’étoffe qu’il reproduit 
							ensuite fidèlement. On retrouve cette phase exploratoire 
							qui consiste à faire des installations préalables à 
							l’exécution de leurs toiles chez nombre d’artistes.
							Une critique absente ?
							L’hyperréalisme est l’un des rares récents courants 
							innovateurs à bénéficier d’un large succès public, du 
							moins aux Etats-Unis.
							Il a fait l’objet de nombreuses expositions dans de 
							nombreux pays et quelques ouvrages lui ont même été 
							consacrés (cf. bibliographie)
							Cependant, en dépit d’un succès populaire certain, l’hyperréalisme 
							s’est heurté à une relative indifférence des critiques 
							et des institutions.
							Quand les conceptualistes ont abandonné les outils et 
							les supports traditionnels au profit des performances 
							et des installations, d’autres artistes, en réaction, 
							sont retournés dans les ateliers. 
							Pour la communauté critique, ceci a constitué un contre-choc 
							révolutionnaire avec des implications beaucoup plus 
							choquantes que celles provoquées par la plus iconoclaste 
							des stratégies développées par les Conceptualistes.
							D’où un certain malaise entre le mouvement hyperréaliste 
							et la critique. 
							L’hyperréalisme est une forme d’art exigeante et les 
							peintres passent le plus clair de leur temps à peindre 
							dans leurs ateliers ce qui laisse peu de disponibilité 
							pour alimenter en informations la réflexion des médias 
							et des critiques.
							De plus les peintres hyperréalistes ont laissé au placard 
							un certain nombre d’attributs propres aux acteurs du 
							grand Art tels que le culte de la personnalité, le mythe 
							du génie individuel, la démarche élitiste, ésotérique 
							ou transcendantale.
							Ils déjouent le sens commun qui veut que l’art soit 
							une activité séparée, originale, surtout pas quelconque 
							et que l’artiste soit engagé corps et âme dans une mystérieuse 
							recherche de vérité et d’absolu et ainsi sapent l’autorité 
							des médias et des systèmes de mise en spectacle de la 
							réalité.
							La figure du créateur s’efface au profit de celle plus 
							modeste du passeur.
							Ceci étant, ce phénomène s’inscrit plus largement dans 
							la perte de statut de la peinture : la critique ou les 
							commissaires des plus importantes manifestations internationales 
							ont intégré dans leur discours une idée de la peinture 
							comme activité passéiste au profit d’expressions telles 
							que la vidéo, la performance ou paradoxalement la photographie 
							qui leur semblent plus pertinentes. En dépit du relatif 
							dédain affiché par la critique au jour le jour, les 
							historiens d’art ont commencé à intégrer le mouvement 
							dans leur réflexion. Ainsi des ouvrages lui sont-ils 
							entièrement consacrés (Louis K. Meisel(12), (13), (14), 
							John Arthur, Linda Chase(5), (13), Gregory Battcock(15), 
							Christine Lindey, Edward Lucie Smith(16). 
							De nombreux artistes font d’autre part l’objet de monographies
							
							(Charles Bell, Don Eddy, Richard Estes, Audrey Flack, 
							Ralph Goings, Gottfried Helnwein, John Kacere, Malcom 
							Morley,Sandorfi, Gérard Schlosser , Bruno Schmeltz).
							 
							Les pionniers américains
							La vogue de l’hyperréalisme a pu faire croire à une 
							renaissance de la figuration, alors qu’il ne s’agissait 
							que d’un prolongement logique de la tradition réaliste 
							américaine. Les Etats-unis ont connu jusqu’au Pop art, 
							qui chronologiquement a précédé l’arrivée de l’hyperréalisme, 
							nombre de démarches figuratives telles celles d’Edward 
							Hopper, Charles Sheeler ou Andrew Wyeth.
							Le pop art avec ses antécédents néo-dadas a constitué 
							à la fois la synthèse du courant réaliste et du courant 
							abstrait et l’apothéose dithyrambique de l’american 
							way of life. A vrai dire il constitue l’un des points 
							culminants du réalisme américain et l’esprit des Wesselmann, 
							Rosenquist et Oldenbourg est fondamentalement celui 
							des Demuth ou des Nigel Spencer. Ce style 100% américain 
							atteint son apogée au moment où le monde entier subit 
							la fascination de l’Amérique, copie son genre de vie, 
							et son folklore urbain, se passionne pour ses mythologies 
							quotidiennes, du western à la chanson, adore ses idoles, 
							imite ses voyous au grand cœur.
							La nature américaine d’un Raushenberg ou d’un Warhol 
							s’identifie aux archétypes du folklore moderne international, 
							elle illustre l’entière hiérarchie des valeurs d’une 
							civilisation planétaire.(7)
							En reportant l’attention sur l’environnement urbain, 
							sur le pouvoir de fascination de l’image diffusée en 
							série par les médias modernes, les pop artistes ont 
							revalorisé la figuration qui alors semblait être le 
							lot presque exclusif des peintres académiques.
							D’autre part, à cette même époque, l’image de l’Amérique 
							tendait inexorablement à l’effritement et après avoir 
							imposé sa loi au monde, la peinture américaine est rentrée 
							chez elle et au terme de cette introspection objective, 
							s’est retrouvée, à travers l’hyperréalisme, telle qu’elle 
							a toujours été, régionaliste, terrienne ou industrielle, 
							inexorablement enracinée dans la réalité physique et 
							humaine(7)
							En réalité peu d’artistes hyperréalistes pensent avoir 
							subi l’influence directe du Pop art et parmi les artistes 
							pop, seul James Rosenquist fait figure de référence. 
							Il est celui dont ils sentent l’œuvre comme étant la 
							plus proche de leurs préoccupations. Plusieurs de ses 
							tableaux, en effet, proposent une image simple, immédiatement 
							reconnaissable et qui peut évoquer tel ou tel aspect 
							de l’hyperréalisme, bien que le propos en soit tout 
							autre. A la différence des tableaux hyperréalistes, 
							la peinture de Rosenquist est toujours un commentaire 
							– moral ou philosophique – du monde moderne, jamais 
							un simple constat.(1)
							D’une manière plus générale, comme Estes l’a remarqué 
							« l’ennui avec le Pop art est qu’il est trop bavard. 
							C’est un jeu intellectuel. Une fois qu’on a compris 
							le message, ça perd tout intérêt ».
							Malgré cela les hyperréalistes reconnaissent leur dette 
							à l’égard du pop art qui a ouvert la voie au traitement 
							des sujets banals et qui a rendu possible une peinture 
							figurative sans référence au passé, aux vieux maîtres 
							et aux considérations académiques.19
							L’hyperréalisme a emprunté au pop art l’iconographie 
							de la vie quotidienne. Il célèbre l’image banale et 
							banalise l’image culturelle.
							Parallèlement, le vieux style consciencieusement réaliste 
							de peinture d’après nature n’a jamais complètement disparu, 
							restant faiblement présent.
							Jack Beal, Al Leslie, Philip Pearlstein( qui ont exprimé 
							un mépris traditionnel à l’encontre des artistes qui 
							utilisent des photographies) se sont mis à peindre une 
							nouvelle figure d’après nature . Leur maladresse consciencieuse, 
							leur fixité intense, alliées à un centre d’intérêt changeant 
							qui ne réussit jamais tout à fait à localiser les surfaces 
							dans l’espace, donnent à leurs œuvres une distorsion 
							manifeste.
							En essayant de faire renaître une tradition d’art et 
							de style figuratifs, ils paraissent diamétralement opposés 
							au photoréalisme mais en raison de la dureté 
							et de la froideur de leur travail, on les place parfois, 
							à tort, dans la catégorie des hyperréalistes.(9)
							L’hyperréalisme américain est généralement considéré 
							comme étant un style mécanistique et il n’est pas surprenant 
							de constater que nombre de peintres sont fascinés par 
							les automobiles ( Don Eddy, Robert Bechtle, John Salt, 
							Ralph Goings, Ron Kleemann), les motos ( David Parrish, 
							Tom Blackwell), les avions (Chriss Cross, Tom Blackwell), 
							les usines ( Randy Dudley), les vues urbaines ( Richard 
							Estes, Noël Mahaffey, Robert Gniewek, David Cone, Anthony 
							Brunelli, Bertrand Meniel). 
							Tous ces thèmes relèvent du folklore urbain dans ses 
							aspects les plus universellement reconnus. La société 
							de consommation bat son plein, elle a revêtu ses habits 
							du dimanche : les restaurants sont propres, les rues 
							sont nettoyées, les néons brillent de tous leurs tubes, 
							les motos sont clinquantes. Rien n’a été oublié par 
							les produits détergents pas même les carrosseries dans 
							un cimetière de voitures. Tout est révélé avec une grande 
							netteté comme s’il s’agissait de la promotion publicitaire 
							d’un produit bien emballé ou de cartes postales éditées 
							par un office de tourisme.(11)
							C’est cet aspect de l’hyperréalisme, mécanique mais 
							réducteur, qui a été reconnu par le grand public et 
							diffusé dans les médias.
							Dans cet art, l’écriture personnelle est le plus souvent 
							absente, l’atmosphère réduite au minimum et le sujet 
							ramené au quotidien, l’artiste confirmant sa personnalité 
							par un thème caractéristique. C’est ce que Peter Sager 
							appelle leur marque commerciale.
							Loin de faire l’unanimité cet aspect radical est raillé 
							par toute une frange de la critique.
							« Où est la neutralité de cette peinture et de ces peintres 
							qui ignorent systématiquement toute une partie de leur 
							environnement (pour ne parler que de lui) et que leur 
							objectivité conduit à ne voir que des murs neufs et 
							nus, de la terre ratissée, des vitres immanquablement 
							propres, des moteurs toujours neufs ? » s’exclame Desmonde 
							Vallée.(10)
							Cet hyperréalisme radical, loin de se répéter, s’est 
							perfectionné pour atteindre un paroxysme technique dans 
							les dernières œuvres de Charles Bell ou de Richard Estes 
							pour ne citer qu’eux.
							D’autres artistes, même s’ ils adhèrent à la beauté 
							des carrosseries polies des automobiles, des vitrines 
							ou à celles des postes à essence, traitent des sujets 
							évoquant l’ ère coloniale, l’art déco des années 20 
							ou puisent leur inspiration dans les années 50 rehaussant 
							par là même l’intensité émotionnelle de leurs sujets.
							Quand les intellectuels européens, avec tout leur snobisme, 
							refusent de céder à la nostalgie, ils ne témoignent 
							jamais que d’un dilemme européen, ou culture et culture 
							de masse sont des notions inconciliables. Une telle 
							antithèse n’ a jamais existé, semble-t-il aux Etats 
							Unis.
							Enfin, d’autres peintres ont su négocier des ruptures 
							dans les thèmes, les sujets, en prenant une certaine 
							distance avec ce coté hyper technique et glacé.
							Ce qui différencie ces artistes des autres hyperréalistes 
							c’est qu’ils ne se soucient pas de noter la banalité 
							complexe des snack-bars, des semi-remorques, des rues 
							de banlieues, des cinémas provinciaux, des rodéos et 
							de toutes les tranches de vie de l’Amérique populaire 
							qu’ils représentent. Ils ont investi 
							d’autres champs d’investigation artistique.
							Ainsi la représentation des visages de Chuck Close, 
							des corps de John Kacere, des chevaux de Richard Mac 
							Lean ou les scènes de la mythologie reproduites par 
							John Clem Clarke appartiennent eux aussi de plein droit 
							à la peinture hyperréaliste.
							Il en est de même des paysages de Ben Schonzeit ou des 
							intérieurs de Jack Mendenhall ou Douglas Bond.
							Les œuvres de Don Eddy, d’Audrey Flack, de Ben Shonzeit, 
							de Chuck Close ou de Joseph Raffael font état de la 
							plus grande liberté thématique et témoignent que le 
							langage hyperréaliste n’est pas un système clos et figé 
							comme pourrait le laisser penser une lecture simpliste 
							et partisane.
							L’école européenne : en marge d’un certain réalisme 
							européen
							Les artistes européens n’ont pas participé à l’éclosion 
							du mouvement hyperréaliste.
							Cette forme d’art n’est parvenue en Europe qu’après 
							avoir été manipulée, agrémentée de commentaires et parée 
							de qualificatifs : elle se disait déjà radical réaliste, 
							hyperréaliste ou photoréaliste quand elle atteignit 
							l’Europe avec la septième Biennale des jeunes artistes 
							à Paris en 1971, et la cinquième Documenta de Cassel 
							en 1972. 
							Cette manifestation eut pour thème le réalisme contemporain. 
							Si Harald Szeemann, son organisateur, accueillit sous 
							ce titre une grande diversité d’œuvres d’art, la contribution 
							la plus remarquable fût toutefois celle de 
							l’hyperréalisme américain.
							Les artistes européens sont restés étrangers à la genèse 
							et au développement du photoréalisme.
							Il serait absurde dès lors, d’exiger que le réalisme 
							européen corresponde avec ce qui est américain d’origine, 
							comme il serait tout aussi absurde de fermer les yeux 
							sur un réalisme spécifiquement européen qui est né et 
							s’est développé avec autant d’authenticité, dans le 
							contexte social, politique et culturel qui est le sien.
							Aux sources américaines de l’hyperréalisme, il serait 
							totalement arbitraire de vouloir opposer, en ce qui 
							concerne les réalistes européens, des sources exclusivement 
							régionales. La circulation immédiate de l’information 
							sur les recherches artistiques a depuis longtemps rendu 
							caduque tout isolationnisme d’école.1
							Entre 1964 et 1970 de nombreuses œuvres plus ou moins 
							liées au Pop Art apparurent en Europe, rassemblées à 
							l’occasion d’expositions à thèmes telles que Mythologies 
							quotidiennes (1964), la Figuration Narrative dans l’art 
							contemporain (1965) ou Bande dessinée et Figuration 
							Narrative (1967).
							Ainsi que le suggèrent ces intitulés, les Européens 
							utilisaient l’imagerie contemporaine comme point de 
							départ pour diverses formes d’une figuration dite narrative 
							qui se différenciait nettement du courant pop des Etats-unis 
							ou de Grande-Bretagne, essentiellement statique et emblématique.
							Parfois accusés d’être cinématographiques, publicitaires, 
							d’utiliser les codes de la bande dessinée ou de céder 
							à l’anecdote, aucun de ces artistes ne se résout à utiliser 
							systématiquement les techniques mécaniques de la reproduction; 
							ils persistent tous à travailler à la main. Ils ne se 
							résignent pas à laisser la peinture déserter le terrain 
							des images et à abandonner ce dernier tout entier aux 
							media de masse. 
							Mais même s’ils obéissent aux mêmes impératifs techniques 
							que les hyperréalistes, cette génération d’artistes 
							européens a produit quantité d’œuvres qui bien que d’inspiration 
							photographique présentent des prolongements philosophiques, 
							politiques, moraux ou sentimentaux.
							Hervé Télémaque, Valerio Adami, Jacques Monory, Peter 
							Klasen, Bernard Rancillac, Gudmundur Erro, Peter Stampfli, 
							Gilles Aillaud, Gerhard Richter, Equipo Chronica, Figuration 
							Critique ou le « Superhumanisme » des artistes de la 
							Nicolas Treadwell Gallery (Eric Scott, Paul Roberts, 
							Graham Dean …) sont représentatifs de ce courant
							
							Ces peintres ont généralement exposé des réticences, 
							voire une certaine condescendance, vis-à-vis de l’hyperréalisme 
							américain.
							A ce titre, il est donc plus adapté de parler de réalistes 
							européens.
							Il a été souvent affirmé que les peintres européens 
							qui utilisent des techniques hyperréalistes ne se contentent 
							pas d’un simple constat du monde environnant mais en 
							livrent une analyse subjective. 
							Ainsi ce ne serait pas tant les images ou les objets 
							qui les intéressent que leur signification nécessairement 
							critique, poétique voire humoristique. Ainsi l’interprétation 
							du quotidien que propose Richter, très grise, s’oppose 
							au style commercial du Pop. Mais inversement c’est justement 
							le coté commercial et superficiel du Pop américain qui 
							fascina certains peintres et intellectuels français.
							Le succès international des artistes américains à partir 
							de la fin des années 50 plongea le monde de l’art en 
							France dans une crise face à laquelle l’américanisation 
							constituait une réponse.
							Le Pop Art français( tout comme le Nouveau Réalisme) 
							se développa dans ce contexte, qui influença également 
							les tableaux que Jacques Monory peignit dans les années 
							(4)
							Monory un des nombreux peintres français dont le travail 
							s’inspirait de la photographie et du Pop Art américain, 
							était totalement imprégné de culture américaine. Meurtre 
							N°10/2(1968) par son échelle « américaine » et son obsession 
							de la surface à strates multiples, est à cet égard très 
							intéressant et préfigure en fait certaines caractéristiques 
							de l’hyperréalisme américain.(8)
							Certaines individualités peuvent d’autre part être rattachées 
							de façon plus étroite au mouvement photoréaliste même 
							si celui-ci, dans sa version européenne, n’a pas la 
							même cohérence que son homologue américain.
							L’inspiration est souvent photographique, la technique 
							sans faille mais le choix des thèmes, le travail sur 
							les couleurs, l’ombre et la lumière apportent une dimension 
							poétique, parfois mystérieuse aux œuvres qui différencient 
							ces peintres des photoréalistes stricts.
							Une illustration de la défiance constatée vis à vis 
							de l’hyperréalisme américain, par les artistes européens 
							est illustrée par le texte de Bernard Lamarche-Vadel 
							qui s’exprime ainsi à propos de l’œuvre de Jean Olivier 
							Hucleux : 45« Sûre malédiction et falsification feutrée 
							de la tentative de Hucleux donc, que de l’avoir classée 
							et la percevoir encore sous la toiture de plomb de l’hyperréalisme 
							: le peintre y voit avec raison une atténuation catastrophique 
							de son œuvre pour au moins deux motifs relevant chacun 
							du paradoxe global du réalisme radical. Dans sa version 
							américaine l’hyperréalisme est encore et toujours un 
							art de transposition…Si la prétention manifeste de l’hyperréalisme 
							est de restituer sur le mode de l’adhésion spontanée, 
							la réalité, alors les procédures de miniaturisation 
							ou d’agrandissement, pour ne pas trop souligner les 
							procédures purement stylistiques de décentrement audacieux 
							du cadrage, sont autant de distorsions graves à l’enjeu 
							déclaré… le peintre hyperréaliste est le pantographe 
							minutieux et certes dénué de tout esprit d’une surface 
							qu’il réplique… à la réussite brillante et close de 
							la duplication d’un instantané de l’hyperréalisme, Hucleux 
							oppose la mélancolie européenne d’un objet incommensurable 
							à la conscience qui tente de se l’approprier. Epuisante 
							approche d’une ressemblance, d’un ajustement, d’une 
							gémellité des essences, de la puissance du double, pour 
							autant qu’à la réalité du référent des motifs doit correspondre 
							la réalité équivalente d’une présence ressuscitée par 
							la représentation »
							C’est moins au niveau des sources qu’au niveau du 
							saisissement que les artistes européens marquent leur 
							profonde spécificité.
							Certains se rapprochent de la tradition académique. 
							Avec une parfaite maîtrise technique, en particulier 
							dans le domaine du dessin, ils dressent l’inventaire 
							de la vie quotidienne. Tout dans leur travail peut être 
							classé selon les catégories traditionnelles telles que 
							les enseignent les écoles des Beaux-arts : nature morte, 
							nu, paysage…Cependant si leur vision reste tributaire 
							de celle des maîtres anciens, elle traduit aussi, au 
							niveau du sujet figuré, une inquiétude moderne. Le moulin 
							électrique ficelé dans du plastique que Isabel Quintanilla 
							place à coté d’un lapin écorché est un Christo involontaire.(1)
							Chez Bruno Schmeltz symbole et réel sont assemblés dans 
							des fresques alliant le mécanique à l’animal, le minéral 
							à l’homme. Des personnages bien contemporains prennent 
							place dans des décors intemporels.
							Tout aussi spectaculaires par leur exécution, les autoportraits 
							de Sandorfi rejoignent certaines manifestations de body 
							art.
							On pense aussi à Claudio Bravo, Christopher Hamon Cheung, 
							Claude Yvel, ou Michael Leonard.
							Chez d’autres la technique, bien que parfaite, est moins 
							académique et les sujets définitivement contemporains 
							: Pierre Barraya, Lillo Bellomo, Jacques Bodin, Chan 
							Kin Chang, Jacques Detrait, Ronald Bowen, Franz Gertsch, 
							Jean Olivier Hucleux, Georges Mimiague, Baldomero Pestana, 
							Gérard Schlosser, et plus récemment Gottfried Helnwein 
							ou Frank Bauer.
							On est chez eux généralement loin des thèmes traditionnels 
							de l’hyperréalisme américain ce qui n’est pas le cas 
							chez Gregory Pelizzari ou François Bricq plus proches 
							du photoréalisme radical.
							Il existe en fait en Europe autant de réalismes qu’il 
							y a de peintres, chacun contribuant à travers sa vision 
							personnelle, dans un style qui lui est propre à une 
							définition du réel.(4)
							S’il semble aventureux de rallier ces artistes sous 
							une bannière commune et improbable d’un hyperréalisme 
							européen, il faut leur reconnaître une sensibilité et 
							une technique très proche de celles des artistes américains.
							
							Un autre monde
							L’hyperréalisme a trouvé un écho chez certains peintres 
							du Sud Est asiatique une dizaine d’années après son 
							explosion aux Etats-unis. Ceci permet d’expliquer que 
							la nature des thèmes traités par ces artistes diffère 
							de celle abordée par les artistes américains de la première 
							génération.
							C’est moins l’aspect visuel de l’entourage quotidien 
							et urbain qui retient leur attention que l’aspect tactile 
							des éléments.
							Ainsi Tschang Yseul Kim qui reproduit des gouttes d’eau, 
							Kim Chang–Young qui s’intéresse aux empreintes de pas 
							dans le sable ou bien encore Ko Young-Hoon qui reproduit 
							des pierres posées sur des pages d’écriture.
							D’autres artistes sont plus proches d’un hyperréalisme 
							orthodoxe tels Hilo Chen, Chan Kin Chung ou Christopher 
							Hamon Cheung.
							Ces derniers sont venus exercer leur talent aux Etats-unis 
							ou en Europe.
							
							Existe t-il un hyperréalisme 
							français ?
							Dans sa version américaine l’hyperréalisme est encore 
							et toujours un art de transposition.C’est moins au niveau 
							des sources qu’au niveau du saisissement que les artistes 
							européens marquent leur profonde spécificité.
							Selon Bernard Lamarche –Vadel: « … à la réussite brillante 
							et close de la duplication d’un instantanné de l’hyperréalisme, 
							Hucleux oppose la mélancolie européeenne d’un objet 
							incommensurable à la conscience qui tente de se l’approprier. 
							Epuisante approche d’une ressemblance, d’un ajustement, 
							d’une gémellité des essences, de la puissance du double, 
							pour autant qu’à la réalité du référent des motifs doit 
							correspondre la réalité équivalente d’une présence ressuscitée 
							par la représentation »
							Au travers de l’œuvre de 3 artistes hyperréalistes 
							français( François Bricq, Jean Bernard Pouchous, Jacques 
							Bodin), il conviendra de tracer les contours d’une tendance 
							hyperréaliste française voire européenne.
							3 reproductions caractéristiques sont jointes pour information.
							Pour plus de détails, consuter les pages consacrées 
							sur le site à ces artistes.
							
							L’hyperréalisme reproduction mécanique de la 
							réalité ?
							Toute la peinture hyperréaliste a affaire avec une 
							réalité de seconde main, une réalité remaniée, remaniée 
							d’abord par la photographie et ensuite par la reproduction 
							sur la toile.
							Deux circuits se croisent constamment, celui de la 
							photo et celui des sujets représentés. Car la photographie 
							joue le rôle d’intercepteur. Elle tend un piège dans 
							lequel la réalité se fige. Ensuite l’objet est réanimé, 
							il retrouve sa respiration initiale, mais l’équation 
							mathématique entre la réalité et la fiction est rompue.
							Prétendre que la peinture hyperréaliste se contente 
							de reproduire la réalité est un contresens puisque l’image 
							relègue bien souvent la réalité au second plan.
							 
							
							L’hyperréalisme est-il 
							trop propre ?
							C’est cet aspect de l’hyperréalisme, mécanique mais 
							réducteur, qui a été reconnu par le grand public et 
							diffusé dans les médias.
							Dans cet art, l’écriture personnelle est le plus 
							souvent absente, l’atmosphère réduite au minimum et 
							le sujet ramené au quotidien, l’artiste confirmant sa 
							personnalité par un thème caractéristique. C’est ce 
							que Peter Sager appelle leur marque commerciale.
							Loin de faire l’unanimité cet aspect radical est 
							raillé par toute une frange de la critique.
							« Où est la neutralité de cette peinture et de ces 
							peintres qui ignorent systématiquement toute une partie 
							de leur environnement (pour ne parler que de lui) et 
							que leur objectivité conduit à ne voir que des murs 
							neufs et nus, de la terre ratissée, des vitres immanquablement 
							propres, des moteurs toujours
							neufs ? » s’exclame Desmonde Vallée.
							D’autres peintres ont su négocier des ruptures dans 
							les thèmes, les sujets, en prenant une certaine distance 
							avec ce coté hypertechnique et glacé.
							Ce qui différencie ces artistes des autres hyperréalistes 
							c’est qu’ils ne se soucient pas de noter la banalité 
							complexe des snack-bars, des semi-remorques, des rues 
							de banlieues, des cinémas provinciaux, des rodéos qu’ils 
							représentent. Ils ont investi d’autres champs d’investigation 
							artistique.
 
							
							
							
							La peinture 
							et la photographie hyperréalistes sont-elles vraiment 
							propres ? On est quand même en droit de se méfier. C'est 
							le genre à nous balancer carré blanc sur fond blanc 
							et tout le gros fiasco qui tourne autour. Ses artistes 
							ont forcément quelque chose à cacher. Chuck Close, photographe 
							moderne, affirme que l'image n'est pas seulement une 
							pure reproduction du réel. Tout simplement à cause des 
							procédés techniques. La photographie, même la plus fidèle, 
							fait baver les contours et les couleurs débordent.
							
							
							Alors, vraiment rien à se reprocher ? D'aucuns taxeront 
							même ces artistes de malades psychiatriques, à la limite 
							voire même carrément fétichistes. Impossible de rester 
							de marbre devant les moulages de Duane Harton qui reproduit 
							en série des visages ainsi que certaines parties du 
							corps. Mais n'oublions pas Don Eddy, hanté par la Volkswagen 
							bleue ou René Cottingham, bloqué sur les enseignes lumineuses. 
							Alors les surréalistes... euh non, les hyperréalistes, 
							de vrais allumés ?
							Pourtant, à travers les obsessions 
							et la distorsion glacée du réel, se dégage une certaine 
							poésie et un lyrisme de l'humain. Même si les sujets 
							font allusion à la société de consommation, aliénante, 
							on évite quand même les scènes barbares ou pornographiques. 
							Comment ne pas s'attendrir devant les Noctambules d'Edward 
							Hopper ? Une femme rousse et vêtue de rouge, s'accoude 
							au zinc tout en scrutant son verre d'un air pensif. 
							A ses côtés, un homme vêtu à la Humphrey Bogart discute 
							avec le barman. Celui-ci, grand blond en uniforme blanc, 
							fait la vaisselle sous le comptoir. Dehors, c'est la 
							nuit. La nuit noire. On aperçoit même pas la lune entre 
							les gratte-ciels. La lueur verdâtre qui se répand sur 
							le trottoir vient de l'enseigne du café. Du coup, les 
							personnages ont vraiment l'air perdus dans une urbanité 
							qui leur totalement étrangère. Comme la toile qui s'intitule 
							Coucher de soleil sur la voix ferrée, devenue emblématique. 
							La cheminée rouge qui se détache dans le paysage immortalise 
							la solitude de notre humanité. Manquent plus qu'un troupeau 
							de buffles ou Johnny Jumper. Snif !!
							Ce sentiment très pur se retrouve 
							dans les lignes de certaines photographies contemporaines. 
							François Bricks prend des hélices d'avion qu'il surnomme 
							« point de fuite » et Jean-Bernard Pouchous, dans « 
							Série naturalisme sexe n°4 », exhibe une baigneuse souriante 
							mais avec tous les effets possibles et imaginables. 
							C'est comme si on avait effectué toutes les commandes
							
							photoshop en même temps. Et toc. C'est mécanique. 
							Les peintres eux-mêmes imitent les techniques photographiques 
							utilisées en publicité pour un effet « ultra-naturel. 
							» Tellement propre qu'on pourrait comparer l'hyperréalisme 
							à de la chimie organique. Avec un microscope, on verrait 
							que la peinture est composée de liant et de pigments 
							eux-mêmes constitués de molécules, d'atomes et d'électrons. 
							Les images se détruisent au fur et à mesure que l'on 
							pénètre dans l'infiniment petit. Halluciné ? Non. A 
							Beaubourg, il y a même une toile qui semble illustrer 
							ce phénomène : Pasadena 68 de Sigmun Polke. Vue de loin, 
							on ne voit qu'une tâche noire sur un fond blanc. De 
							plus près et étouffé par le flot des badauds, le visiteur 
							ne distingue plus qu'une alternance de pixels. 
							Alors nos hyperréalistes ? Inoffensifs 
							? Vraiment, pas de quoi fouetter un chat. De doux rêveurs 
							qui se soûlent d'une réalité pour mieux l'éviter. Max 
							Beckman qui peut tout à fait passer comme précurseur, 
							ne qualifiait-il pas la réalité de « transcendentale 
							? » Certains dessinateurs de presse arrivent à lui faire 
							vomir ses tripes pour lui faire cracher quasiment l'inverse. 
							Absurde mais très intéressant parce qu'on a enfin quelque 
							chose à se mettre sous la dent. Richard Estes, fondateur 
							du mouvement américain dans les années 60-70, le plus 
							engagé, explique ce phénomène comme suit. Il dit avoir 
							l'habitude de peindre un motif dans un coin de la toile 
							puis un autre ailleurs, etc. Simplement parce qu'il 
							est effrayé par le tout. Or c'est bien l'ensemble que 
							l'on perçoit en premier. C'est son image disloquée, 
							distendue. L'hyperréalisme ou « simulacre hallucinant 
							du réel », comme l'appelait Jean Clair, c'est la distorsion 
							mystificatrice d'une vérité glacée.