TRIBUNE
Panorama de la peinture hyperréaliste
(ex Hyperrealism.net)
Introduction
Si l’Hyperréalisme ( terme français équivalent aux
termes américains photorealism et superrealism
) a fait l’objet de nombreuses publications à l’époque
de son explosion à la fin des années 60 et au début
des années 70, il est par la suite devenu pratiquement
impossible de trouver un article, une revue ou un ouvrage
traitant le sujet selon une approche globale.
Comme s’il s’était agi d’un mouvement spasmodique de
mode aussi vite oublié qu’il était apparu.
Or la plupart des peintres initiateurs de ce mouvement
ont continué, enrichi et souvent diversifié leur œuvre,
relayés par une, puis deux générations de nouveaux artistes.
Il semblait donc indispensable, 30 ans après son émergence,
de faire un bilan de ce qui apparaît comme un mouvement
majeur tant sur le plan de son histoire que de son actualité.
Prologue
Les rapports de l’homme avec la réalité ne sont jamais
figés. Ils échappent constamment à quelque emprise que
ce soit, car si l’homme fait la réalité, la réalité
fait à son tour l’homme. C’est un rapport de force permanent
ou il n’y a ni gagnant ni perdant. Mais au-delà du champ
de bataille, c’est une symbiose qui s’opère. L’histoire
n’en retient que quelques moments de rupture.
Si l’on se place dans le cadre de l’évolution de la
création artistique, l’hyperréalisme représente un de
ses moments de rupture, car il consacre ce qui hier
était suspect voire sans intérêt. Rupture également
parce que le travail artistique avait depuis quelques
années tourné le dos à la peinture et depuis bien longtemps
à la figuration qui renvoie à la réalité. (11)
Tout au long de la période pendant laquelle l’art abstrait
a dominé, le réalisme a recherché une nouvelle identité
tant en Europe qu’aux Etats-Unis. En se cramponnant
à des traditions de style périmées et en refusant de
rompre les liens avec l’iconographie qui y était rattachée,
le réalisme avait pour la plus grande part dégénéré
en une figuration purement stylistique, qui avait perdu
tout contact avec la réalité et se trouvait dans l’impossibilité
de se développer et d’incarner le réalisme des temps
modernes. (3)
Né à la fin des années soixante le mouvement pourrait
n’être considéré que comme l’un des nombreux avatars
de la peinture moderne si les peintres qui ont initié
le mouvement n’avaient continué de produire et d’améliorer
leur technique, relayés par une puis deux générations
d’artistes plus jeunes qui perpétuent et renouvellent
la tradition
L’hyperréalisme n’est pas un mouvement au sens formel.
Il n’a pas de manifeste et beaucoup de ses artistes
ne se sont jamais rencontrés.
Peut-être y a t’il lieu de parler d’une sensibilité
commune : une position qui s’établit à partir des relations
existant entre l’artiste et son sujet. Ces relations
se caractérisent par la distance à la fois affective
et, par l’usage de la photographie, réelle, mais également
par un engagement total et laborieux de l’artiste soucieux
de rendre avec exactitude la forme, la lumière et la
couleur .(5)
L’hyperréalisme est une tendance relativement unifiée
ou chaque peintre traduit quasiment de la même manière
le paysage contemporain et plus particulièrement les
images d’une société moderne. Ce n’est pas le style
qui les différencie mais le thème privilégié par chacun
d’eux et la manière dont le sujet est vu.(4)
Rejetant la subjectivité affective propre à la peinture
réaliste traditionnelle et académique, le peintre hyperréaliste
ne dit pas au spectateur comment il doit ressentir le
sujet, il affirme tout simplement qu’il existe et qu’il
vaut la peine d’être regardé parce qu’il existe. Les
efforts de l’artiste (souvent plusieurs mois de travail
sur une même peinture) imprègnent les choses d’une signification
nouvelle, mais elles ne sont ni surestimées ni sous
estimées.
On a pu qualifier de « virtuoses » les hyperréalistes
parce qu’ils parvenaient à une perfection telle que
l’on en arrivait à confondre leurs toiles avec des photographies.(4)
Certains argumentent qu’ainsi ces peintres ne présenteraient
qu’un simple constat froid de leur environnement, sans
analyse subjective.
Au-delà de cette absence de commentaires directs, il
paraît réducteur de ne considérer l’hyperréalisme que
comme une représentation mécanique.
Cette apparente impersonnalité est en effet démentie
par le fait que, ces peintres prenant eux-mêmes les
photos à partir desquelles ils travaillent, une considérable
latitude leur est laissée en termes de sujet, de disposition,
d’éclairage, de composition et de couleurs.
De plus un grand nombre de peintres modifient la photo.
Enfin le fait de peindre laborieusement, ceci pendant
des mois, ce que l’appareil photo peut instantanément
reproduire sans effort n’est pas dénué de sens : le
tableau n’est pas une photo et lors de ce lent processus
d’effort humain, il acquiert sa propre personnalité
pour délivrer une vision intensifiée et densifiée de
ce qu’il représente.
En retour le tableau restitue lentement cette charge
de travail et de recherche dont il a été imprégné.
Il se dégage d’autre part, au travers du caractère illusionniste
de ces représentations minutieuses des moindres détails
d’un reflet dans une vitre ou de chaque cheveu d’une
coiffure, une folie fascinante et effrayante. Aussi,
bien qu’il soit considéré comme froid et dépourvu de
tout engagement, l’hyperréalisme présente un caractère
héroïque : en choisissant délibérément de faire lentement
ce que certains media peuvent réaliser instantanément
et sans effort, il affirme la valeur de l’effort humain.(5)
On peut trouver dans cette vieille idée romantique de
l’épuisement des accents de performance.
Il y en a beaucoup qui continuent à s’hypnotiser sur
l’aspect illusionniste des images hyperréalistes. On
se sent en quelque sorte complexé devant ce retour en
force du figuratif. L’on oublie qu’il y a dans l’hyperréalisme
beaucoup des qualités de l’illusionnisme ce qui est
beaucoup plus important.
Un adorable leurre (6)
Les artistes contemporains n’ont jamais tant abusé
du mot « travail » que depuis qu’ils ne font rien et
n’ont jamais tant aligné la liste de leurs « travaux
» que depuis que ceux-ci se sont réduits à des gestes
le plus souvent passablement dérisoires et vains, comme
d’envoyer des textes par la poste ou de coller des bandes
verticales sur des murs. Alors en ce retournement nécessaire
qui s’opère aujourd’hui, voit-on, comme réagissant contre
cet oubli du corps dans lequel l’art s’est enfoncé,
l’œuvre s’étant à ce point dématérialisée qu’elle exclut
toute maîtrise ou tout simplement tout savoir-faire,
l’artiste revenir derechef vers le corps en particulier
dans ses deux formes extrêmes, inversées mais complémentaires,
que sont le body art et l’hyperréalisme…Ainsi pour appliquer
son pouvoir l’artiste hyperréaliste aurait-il besoin
de ces prolongements artificiels des membres que sont
le pinceau, le couteau à palette, l’aérographe, désormais
compliqués de toute cette prothèse que sont l’appareil
photographique, l’appareil de projection ou l’épiscope,
le tout consistant toujours, de toute façon, à redoubler,
prolonger ou projeter une image de soi vers le monde,
c’est-à-dire d’établir un pont entre l’organisme et
sa réalité, à ré instaurer, toujours, l’image d’un adorable
leurre.
Le retour de la technique
L’hyperréalisme renonce à s’affranchir des contraintes
et des limites de la technique.
Bien au contraire il retourne vers la peinture de chevalet.
Il rétablit les procédés de la peinture conventionnelle
tout en vidant celle-ci de son contenu.
Ce retour passionné à l’acte pictural s’est fait jour
pendant une période d’abstinence picturale pendant laquelle
les critères techniques et les critères d’appréciation
se sont perdus.
L’histoire a cependant relégué le réalisme objectif
dans une cabine de seconde classe.
Pour le grand art, on ne se contente pas d’une pure
description. C’est seulement lorsque le sujet de la
peinture a renoncé à la pure ressemblance et a opté
pour une véritable signification, que l’histoire adopte
son aspect artistique.
L’hyperréalisme, compte-rendu paisible et littéral des
réalités visuelles occupe de ce fait encore une position
embarrassante. Il existe cependant deux notions complémentaires,
si on les place au-delà du dogme de modernité, qui plaident
en faveur de l’art hyperréaliste : d’une part le réalisme
est incontestablement lié au sujet et d’autre part comme
le souligne Don Eddy, l’apparence du monde est vraiment
plus excitante que l’apparence de l’art.
Sharp focus et Gigantic scale
Une des caractéristiques majeure de l’hyperréalisme
est la représentation fréquente en gros plan et très
détaillée d’une partie d’un ensemble (Sharp focus).
L’agrandissement démesuré d’un sujet est une autre forme
d’abstraction : en séparant celui-ci de la réalité ordinaire
il lui confère une nouvelle identité
( Gigantic scale).
Les peintures souvent de très grand format, font alors
surgir des formes abstraites ou des constructions imaginaires
qui révèlent quelque chose de l’ordre caché de l’environnement
quotidien.
Les peintres s’attachent ainsi à faire apparaître diverses
formes tirées des profondeurs de l’image et l’on est
frappé par l’impression que corrélativement, les objets,
les scènes familières deviennent des « miniatures du
monde
Nous sommes redevables de l’expression Sharp focus à
Sydney Janis qui l’a utilisée pour la première fois
comme titre d’une exposition d’hyperréalistes dans sa
galerie de New York en 1972. Il voulait opposer le Sharp
focus au Gigantic scale titre qu’il donnera à sa seconde
exposition réaliste.(7)
Le réel, le symbolique et l’imaginaire
L’historien de l’art américain Hal Foster, qui a
appliqué dans son ouvrage intitulé The Return of the
Real (1996), la division psychanalytique tripartite
de la réalité énoncée par Jacques Lacan – le réel, le
symbolique et l’imaginaire – considère l’hyperréalisme
( qu’il préfère appeler « superréalisme ») comme engagé
dans une quête hyperbolique de l’apparence dont le but
est de masquer une réalité refoulée. Le réel appréhendé
de ce point de vue psychique est une zone d’obscurité
située au cœur de l’existence, que nous souhaitons éviter
et qui ne peut être représentée.
Selon Foster, de par l’angoisse que traduit son intérêt
pour les surfaces brillantes et réfléchissantes, l’hyperréalisme
exprime ce qu’il tente de dissimuler.(8)
Hyperréalisme et trompe l’œil
Confronté à une peinture hyperréaliste, vous n’avez
pas l’illusion de regarder une moto, une vitrine de
magasin, un flipper ou des bouteilles de ketchup.
Peu importe la précision avec laquelle les motifs sont
reproduits, vous savez que vous êtes devant une image.
Le contexte n’est pas le bon, l’échelle est disproportionnée,
le langage visuel est celui de la photographie.
Une société du spectacle
Le situationniste Guy Debord décrivit dans les années
60 comment la vie en collectivité fondée sur le commerce
moderne constituait une « société du spectacle », une
réalité irréelle où les images régissent les relations
sociales. Lyotard et le sociologue Jean Baudrillard
devaient également tenir compte de la notion de spectacle
dans leurs écrits.
Ces deux théoriciens du post-modernisme voient dans
la culture du capitalisme américain une façon de surmonter
ou de supplanter la réalité, et un passage vers le simulacre,
une région de désir illimité.(8)
Toute représentation de la réalité est un simulacre.
C’est pourquoi la réalité reproduite est une fiction.
Lorsqu’un peintre projette une photo sur une toile et
peint ensuite d’après la photo projetée, il ne traduit
en fin de compte que la fiction de la réalité qu’il
a vécue, qu’il a pensée et qu’il a travaillée.
Le tableau hyperréaliste devient ainsi la réalité de
cette fiction puisqu’il traduit sans ambiguïté tout
le processus de saisie de cette réalité, et ce depuis
sa perception jusqu’à sa restitution matérialisée.
Deux circuits se croisent constamment, celui de la photo
et celui des sujets représentés. Car la photographie
joue le rôle d’intercepteur. Elle tend un piège dans
lequel la réalité se fige. Ensuite l’objet est réanimé,
il retrouve sa respiration initiale, mais l’équation
mathématique entre la réalité et la fiction est rompue.
Prétendre que la peinture hyperréaliste se contente
de reproduire la réalité est un contresens puisque l’image
relègue bien souvent la réalité au second plan.
Photographie : des rapports complexes
La profusion d’images véhiculées par la vidéo, le
cinéma ou la photographie a changé notre manière de
voir et les hyperréalistes enregistrent ces changements.
Aujourd’hui les images diffusées par les médias sont
aussi importantes que les phénomènes réels. Elles modifient
notre perception des phénomènes réels et contribuent
à hiérarchiser leurs valeurs.
La photographie est ainsi au cœur du processus.
Toute la peinture hyperréaliste a ainsi affaire avec
une réalité de seconde main, une réalité remaniée, remaniée
d’abord par la photographie et ensuite par la reproduction
sur la toile.
La photographie est au cœur du mouvement.(5)
Le peintre hyperréaliste se sert de la photographie
souvent tout à fait consciemment pour rompre avec les
habitudes de la représentation picturale classique.
John Salt fait ainsi remarquer que les photographies
« permettaient de se débarrasser plus facilement de
l’influence des autres peintres ».
L’idée que la photographie contribue à libérer l’artiste
des anciennes formes de réalisme a été reprise par Tom
Blackwell : « l’objectif déforme en fonction des conventions
classiques de la perspective ou des besoins de la représentation
picturale ».
Les hyperréalistes se servent donc de la photographie
pour établir une distance entre eux et le sujet.
La photographie fait passer l’image d’un plan à trois
dimensions à un plan à deux dimensions d’une manière
qui exclut les choix de l’artiste, choix qui pourraient
être fondés sur des préférences affectives ou psychologiques.
Néanmoins la photographie n’est pas considérée comme
un simple outil par tous les artistes. Bien qu’ils l’utilisent
pour se distancier du sujet et se libérer des conventions
esthétiques du passé, la photographie constitue pour
eux une nouvelle manière d’appréhender les sujets.
Les mêmes peintures ne pourraient pas être peintes sans
photographies et la visualisation photographique fait
partie de l’idée de la peinture.
« Je ne vois pas comment je pourrais faire l’un sans
l’autre » dit Estes, décrivant le rapport étroit qui
règne entre sa peinture et la photographie. (5)
En réalité Estes, comme beaucoup d’autres artistes,
prend une liberté considérable avec la photographie
: il prend plusieurs clichés d’un même sujet pour obtenir
le maximum d’informations et ces informations sont ensuite
intégrées dans la peinture.
Il convient ainsi de distinguer entre les peintres qui
utilisent la photographie pour représenter ce que voit
l’objectif et ceux qui utilisent celle-ci pour représenter
ce que voit l’œil.
« Il y a des gens qui pensent qu’à partir d’une photo,
on ne peut faire qu’une peinture. Mais on peut faire
autant de peintures d’après une photo que d’après la
vie réelle » remarque Chuck Close.
L’hyperréalisme a facilité une fertilisation croisée
entre la peinture et la photographie. Ce dialogue permanent
entre les deux techniques joue un rôle important dans
l’art contemporain.
Les œuvres de Cindy Shermann, Andreas Gursky, Robert
Longo, Jack Goldstein sont là pour en témoigner.
On n’entend pas dire à propos des œuvres hyperréalistes
« c’est tout à fait la réalité », mais « c’est tout
à fait une photo ». Cet illusionnisme ne devient que
rarement le trompe l’œil d’un objet réel. Il rappelle
toujours que la photo se trouve toujours entre la réalité
et l’art et que ce monde d’entre deux fait l’objet de
l’œuvre.
Ce n’est pas la réalité qui importe mais la photographie,
car c’est celle-ci qui constitue le sujet de l’œuvre.
L’artiste saisit et communique le message de l’objectif.
Il affirme l’intégrité de son sujet tout en visant à
la perfection.
Il y a un enfin dans ces rapports ambigus un véritable
problème avec la reproduction photographique des tableaux
hyperréalistes. En effet celle-ci tend à revenir vers
la source d’origine, la photo. De fait la peinture comme
telle s’avère inphotographiable.
La reproduction de n’importe quelle œuvre de Picasso,
Matisse ou Rembrandt vous dit quelque chose de ce à
quoi la peinture ressemble alors qu’une reproduction
d’un tableau hyperréaliste ressemble à un fac-similé
de sa source photographique.
Selon Malcom Morley : « C’est une manière d’affirmer
l’autonomie de la peinture comme objet, parce que seule
la peinture vous dit quelque chose d’elle - même ».
L’envers de l’hyperréalisme : l’abstraction ?
Les peintres hyperréalistes ont été influencés par
les expédients utilisés par les peintres abstraits :
agrandissement ou distorsion de l’échelle, uniformité
de la surface, gigantisme des œuvres, prééminence de
l’image.
Par exemple le fait de traiter un sujet en isolant certains
fragments de leur contexte et en les reproduisant agrandis
de façon mimétique leur confère une identité propre
avec souvent une forte charge d’abstraction.
Ceci se vérifie tout particulièrement sur certains détails
de tableaux de Chuck Close qui se révèlent à l’observation
des toiles abstraites.
L’agrandissement d’une partie de pneu chez Don Eddy
devient un simple croisement de lignes plus proche de
Stella que de l’hyperréalisme.
La froideur attribuée à la sensibilité hyperréaliste
correspond à une manière abstraite de voir les choses
sans commentaire et sans engagement.
L’hyperréalisme est plein de références à la peinture
abstraite ainsi qu’en témoignent les compositions de
Cottingham, de Blackwell, de Bowen ou de Detrait en
Europe.
Même l’apparente frontalité d’Estes ou de Goings est
composée et traitée dans un sens abstrait. Les reflets
sont souvent utilisés, chez Pelizzari par exemple, comme
éléments abstraits comme le sont les barrières et les
lignes de stationnement dans l’œuvre d’Eddy.
De fait certains peintres hyperréalistes sont devenus
abstraits et inversement.
La façon dont certains artistes préparent le sujet qu’ils
vont reproduire est influencée non seulement par l’art
abstrait mais aussi par le travail conceptuel.
Ainsi Stephen Posen prépare-il des sculptures à grande
échelle au moyen de boites et d’étoffe qu’il reproduit
ensuite fidèlement. On retrouve cette phase exploratoire
qui consiste à faire des installations préalables à
l’exécution de leurs toiles chez nombre d’artistes.
Une critique absente ?
L’hyperréalisme est l’un des rares récents courants
innovateurs à bénéficier d’un large succès public, du
moins aux Etats-Unis.
Il a fait l’objet de nombreuses expositions dans de
nombreux pays et quelques ouvrages lui ont même été
consacrés (cf. bibliographie)
Cependant, en dépit d’un succès populaire certain, l’hyperréalisme
s’est heurté à une relative indifférence des critiques
et des institutions.
Quand les conceptualistes ont abandonné les outils et
les supports traditionnels au profit des performances
et des installations, d’autres artistes, en réaction,
sont retournés dans les ateliers.
Pour la communauté critique, ceci a constitué un contre-choc
révolutionnaire avec des implications beaucoup plus
choquantes que celles provoquées par la plus iconoclaste
des stratégies développées par les Conceptualistes.
D’où un certain malaise entre le mouvement hyperréaliste
et la critique.
L’hyperréalisme est une forme d’art exigeante et les
peintres passent le plus clair de leur temps à peindre
dans leurs ateliers ce qui laisse peu de disponibilité
pour alimenter en informations la réflexion des médias
et des critiques.
De plus les peintres hyperréalistes ont laissé au placard
un certain nombre d’attributs propres aux acteurs du
grand Art tels que le culte de la personnalité, le mythe
du génie individuel, la démarche élitiste, ésotérique
ou transcendantale.
Ils déjouent le sens commun qui veut que l’art soit
une activité séparée, originale, surtout pas quelconque
et que l’artiste soit engagé corps et âme dans une mystérieuse
recherche de vérité et d’absolu et ainsi sapent l’autorité
des médias et des systèmes de mise en spectacle de la
réalité.
La figure du créateur s’efface au profit de celle plus
modeste du passeur.
Ceci étant, ce phénomène s’inscrit plus largement dans
la perte de statut de la peinture : la critique ou les
commissaires des plus importantes manifestations internationales
ont intégré dans leur discours une idée de la peinture
comme activité passéiste au profit d’expressions telles
que la vidéo, la performance ou paradoxalement la photographie
qui leur semblent plus pertinentes. En dépit du relatif
dédain affiché par la critique au jour le jour, les
historiens d’art ont commencé à intégrer le mouvement
dans leur réflexion. Ainsi des ouvrages lui sont-ils
entièrement consacrés (Louis K. Meisel(12), (13), (14),
John Arthur, Linda Chase(5), (13), Gregory Battcock(15),
Christine Lindey, Edward Lucie Smith(16).
De nombreux artistes font d’autre part l’objet de monographies
(Charles Bell, Don Eddy, Richard Estes, Audrey Flack,
Ralph Goings, Gottfried Helnwein, John Kacere, Malcom
Morley,Sandorfi, Gérard Schlosser , Bruno Schmeltz).
Les pionniers américains
La vogue de l’hyperréalisme a pu faire croire à une
renaissance de la figuration, alors qu’il ne s’agissait
que d’un prolongement logique de la tradition réaliste
américaine. Les Etats-unis ont connu jusqu’au Pop art,
qui chronologiquement a précédé l’arrivée de l’hyperréalisme,
nombre de démarches figuratives telles celles d’Edward
Hopper, Charles Sheeler ou Andrew Wyeth.
Le pop art avec ses antécédents néo-dadas a constitué
à la fois la synthèse du courant réaliste et du courant
abstrait et l’apothéose dithyrambique de l’american
way of life. A vrai dire il constitue l’un des points
culminants du réalisme américain et l’esprit des Wesselmann,
Rosenquist et Oldenbourg est fondamentalement celui
des Demuth ou des Nigel Spencer. Ce style 100% américain
atteint son apogée au moment où le monde entier subit
la fascination de l’Amérique, copie son genre de vie,
et son folklore urbain, se passionne pour ses mythologies
quotidiennes, du western à la chanson, adore ses idoles,
imite ses voyous au grand cœur.
La nature américaine d’un Raushenberg ou d’un Warhol
s’identifie aux archétypes du folklore moderne international,
elle illustre l’entière hiérarchie des valeurs d’une
civilisation planétaire.(7)
En reportant l’attention sur l’environnement urbain,
sur le pouvoir de fascination de l’image diffusée en
série par les médias modernes, les pop artistes ont
revalorisé la figuration qui alors semblait être le
lot presque exclusif des peintres académiques.
D’autre part, à cette même époque, l’image de l’Amérique
tendait inexorablement à l’effritement et après avoir
imposé sa loi au monde, la peinture américaine est rentrée
chez elle et au terme de cette introspection objective,
s’est retrouvée, à travers l’hyperréalisme, telle qu’elle
a toujours été, régionaliste, terrienne ou industrielle,
inexorablement enracinée dans la réalité physique et
humaine(7)
En réalité peu d’artistes hyperréalistes pensent avoir
subi l’influence directe du Pop art et parmi les artistes
pop, seul James Rosenquist fait figure de référence.
Il est celui dont ils sentent l’œuvre comme étant la
plus proche de leurs préoccupations. Plusieurs de ses
tableaux, en effet, proposent une image simple, immédiatement
reconnaissable et qui peut évoquer tel ou tel aspect
de l’hyperréalisme, bien que le propos en soit tout
autre. A la différence des tableaux hyperréalistes,
la peinture de Rosenquist est toujours un commentaire
– moral ou philosophique – du monde moderne, jamais
un simple constat.(1)
D’une manière plus générale, comme Estes l’a remarqué
« l’ennui avec le Pop art est qu’il est trop bavard.
C’est un jeu intellectuel. Une fois qu’on a compris
le message, ça perd tout intérêt ».
Malgré cela les hyperréalistes reconnaissent leur dette
à l’égard du pop art qui a ouvert la voie au traitement
des sujets banals et qui a rendu possible une peinture
figurative sans référence au passé, aux vieux maîtres
et aux considérations académiques.19
L’hyperréalisme a emprunté au pop art l’iconographie
de la vie quotidienne. Il célèbre l’image banale et
banalise l’image culturelle.
Parallèlement, le vieux style consciencieusement réaliste
de peinture d’après nature n’a jamais complètement disparu,
restant faiblement présent.
Jack Beal, Al Leslie, Philip Pearlstein( qui ont exprimé
un mépris traditionnel à l’encontre des artistes qui
utilisent des photographies) se sont mis à peindre une
nouvelle figure d’après nature . Leur maladresse consciencieuse,
leur fixité intense, alliées à un centre d’intérêt changeant
qui ne réussit jamais tout à fait à localiser les surfaces
dans l’espace, donnent à leurs œuvres une distorsion
manifeste.
En essayant de faire renaître une tradition d’art et
de style figuratifs, ils paraissent diamétralement opposés
au photoréalisme mais en raison de la dureté
et de la froideur de leur travail, on les place parfois,
à tort, dans la catégorie des hyperréalistes.(9)
L’hyperréalisme américain est généralement considéré
comme étant un style mécanistique et il n’est pas surprenant
de constater que nombre de peintres sont fascinés par
les automobiles ( Don Eddy, Robert Bechtle, John Salt,
Ralph Goings, Ron Kleemann), les motos ( David Parrish,
Tom Blackwell), les avions (Chriss Cross, Tom Blackwell),
les usines ( Randy Dudley), les vues urbaines ( Richard
Estes, Noël Mahaffey, Robert Gniewek, David Cone, Anthony
Brunelli, Bertrand Meniel).
Tous ces thèmes relèvent du folklore urbain dans ses
aspects les plus universellement reconnus. La société
de consommation bat son plein, elle a revêtu ses habits
du dimanche : les restaurants sont propres, les rues
sont nettoyées, les néons brillent de tous leurs tubes,
les motos sont clinquantes. Rien n’a été oublié par
les produits détergents pas même les carrosseries dans
un cimetière de voitures. Tout est révélé avec une grande
netteté comme s’il s’agissait de la promotion publicitaire
d’un produit bien emballé ou de cartes postales éditées
par un office de tourisme.(11)
C’est cet aspect de l’hyperréalisme, mécanique mais
réducteur, qui a été reconnu par le grand public et
diffusé dans les médias.
Dans cet art, l’écriture personnelle est le plus souvent
absente, l’atmosphère réduite au minimum et le sujet
ramené au quotidien, l’artiste confirmant sa personnalité
par un thème caractéristique. C’est ce que Peter Sager
appelle leur marque commerciale.
Loin de faire l’unanimité cet aspect radical est raillé
par toute une frange de la critique.
« Où est la neutralité de cette peinture et de ces peintres
qui ignorent systématiquement toute une partie de leur
environnement (pour ne parler que de lui) et que leur
objectivité conduit à ne voir que des murs neufs et
nus, de la terre ratissée, des vitres immanquablement
propres, des moteurs toujours neufs ? » s’exclame Desmonde
Vallée.(10)
Cet hyperréalisme radical, loin de se répéter, s’est
perfectionné pour atteindre un paroxysme technique dans
les dernières œuvres de Charles Bell ou de Richard Estes
pour ne citer qu’eux.
D’autres artistes, même s’ ils adhèrent à la beauté
des carrosseries polies des automobiles, des vitrines
ou à celles des postes à essence, traitent des sujets
évoquant l’ ère coloniale, l’art déco des années 20
ou puisent leur inspiration dans les années 50 rehaussant
par là même l’intensité émotionnelle de leurs sujets.
Quand les intellectuels européens, avec tout leur snobisme,
refusent de céder à la nostalgie, ils ne témoignent
jamais que d’un dilemme européen, ou culture et culture
de masse sont des notions inconciliables. Une telle
antithèse n’ a jamais existé, semble-t-il aux Etats
Unis.
Enfin, d’autres peintres ont su négocier des ruptures
dans les thèmes, les sujets, en prenant une certaine
distance avec ce coté hyper technique et glacé.
Ce qui différencie ces artistes des autres hyperréalistes
c’est qu’ils ne se soucient pas de noter la banalité
complexe des snack-bars, des semi-remorques, des rues
de banlieues, des cinémas provinciaux, des rodéos et
de toutes les tranches de vie de l’Amérique populaire
qu’ils représentent. Ils ont investi
d’autres champs d’investigation artistique.
Ainsi la représentation des visages de Chuck Close,
des corps de John Kacere, des chevaux de Richard Mac
Lean ou les scènes de la mythologie reproduites par
John Clem Clarke appartiennent eux aussi de plein droit
à la peinture hyperréaliste.
Il en est de même des paysages de Ben Schonzeit ou des
intérieurs de Jack Mendenhall ou Douglas Bond.
Les œuvres de Don Eddy, d’Audrey Flack, de Ben Shonzeit,
de Chuck Close ou de Joseph Raffael font état de la
plus grande liberté thématique et témoignent que le
langage hyperréaliste n’est pas un système clos et figé
comme pourrait le laisser penser une lecture simpliste
et partisane.
L’école européenne : en marge d’un certain réalisme
européen
Les artistes européens n’ont pas participé à l’éclosion
du mouvement hyperréaliste.
Cette forme d’art n’est parvenue en Europe qu’après
avoir été manipulée, agrémentée de commentaires et parée
de qualificatifs : elle se disait déjà radical réaliste,
hyperréaliste ou photoréaliste quand elle atteignit
l’Europe avec la septième Biennale des jeunes artistes
à Paris en 1971, et la cinquième Documenta de Cassel
en 1972.
Cette manifestation eut pour thème le réalisme contemporain.
Si Harald Szeemann, son organisateur, accueillit sous
ce titre une grande diversité d’œuvres d’art, la contribution
la plus remarquable fût toutefois celle de
l’hyperréalisme américain.
Les artistes européens sont restés étrangers à la genèse
et au développement du photoréalisme.
Il serait absurde dès lors, d’exiger que le réalisme
européen corresponde avec ce qui est américain d’origine,
comme il serait tout aussi absurde de fermer les yeux
sur un réalisme spécifiquement européen qui est né et
s’est développé avec autant d’authenticité, dans le
contexte social, politique et culturel qui est le sien.
Aux sources américaines de l’hyperréalisme, il serait
totalement arbitraire de vouloir opposer, en ce qui
concerne les réalistes européens, des sources exclusivement
régionales. La circulation immédiate de l’information
sur les recherches artistiques a depuis longtemps rendu
caduque tout isolationnisme d’école.1
Entre 1964 et 1970 de nombreuses œuvres plus ou moins
liées au Pop Art apparurent en Europe, rassemblées à
l’occasion d’expositions à thèmes telles que Mythologies
quotidiennes (1964), la Figuration Narrative dans l’art
contemporain (1965) ou Bande dessinée et Figuration
Narrative (1967).
Ainsi que le suggèrent ces intitulés, les Européens
utilisaient l’imagerie contemporaine comme point de
départ pour diverses formes d’une figuration dite narrative
qui se différenciait nettement du courant pop des Etats-unis
ou de Grande-Bretagne, essentiellement statique et emblématique.
Parfois accusés d’être cinématographiques, publicitaires,
d’utiliser les codes de la bande dessinée ou de céder
à l’anecdote, aucun de ces artistes ne se résout à utiliser
systématiquement les techniques mécaniques de la reproduction;
ils persistent tous à travailler à la main. Ils ne se
résignent pas à laisser la peinture déserter le terrain
des images et à abandonner ce dernier tout entier aux
media de masse.
Mais même s’ils obéissent aux mêmes impératifs techniques
que les hyperréalistes, cette génération d’artistes
européens a produit quantité d’œuvres qui bien que d’inspiration
photographique présentent des prolongements philosophiques,
politiques, moraux ou sentimentaux.
Hervé Télémaque, Valerio Adami, Jacques Monory, Peter
Klasen, Bernard Rancillac, Gudmundur Erro, Peter Stampfli,
Gilles Aillaud, Gerhard Richter, Equipo Chronica, Figuration
Critique ou le « Superhumanisme » des artistes de la
Nicolas Treadwell Gallery (Eric Scott, Paul Roberts,
Graham Dean …) sont représentatifs de ce courant
Ces peintres ont généralement exposé des réticences,
voire une certaine condescendance, vis-à-vis de l’hyperréalisme
américain.
A ce titre, il est donc plus adapté de parler de réalistes
européens.
Il a été souvent affirmé que les peintres européens
qui utilisent des techniques hyperréalistes ne se contentent
pas d’un simple constat du monde environnant mais en
livrent une analyse subjective.
Ainsi ce ne serait pas tant les images ou les objets
qui les intéressent que leur signification nécessairement
critique, poétique voire humoristique. Ainsi l’interprétation
du quotidien que propose Richter, très grise, s’oppose
au style commercial du Pop. Mais inversement c’est justement
le coté commercial et superficiel du Pop américain qui
fascina certains peintres et intellectuels français.
Le succès international des artistes américains à partir
de la fin des années 50 plongea le monde de l’art en
France dans une crise face à laquelle l’américanisation
constituait une réponse.
Le Pop Art français( tout comme le Nouveau Réalisme)
se développa dans ce contexte, qui influença également
les tableaux que Jacques Monory peignit dans les années
(4)
Monory un des nombreux peintres français dont le travail
s’inspirait de la photographie et du Pop Art américain,
était totalement imprégné de culture américaine. Meurtre
N°10/2(1968) par son échelle « américaine » et son obsession
de la surface à strates multiples, est à cet égard très
intéressant et préfigure en fait certaines caractéristiques
de l’hyperréalisme américain.(8)
Certaines individualités peuvent d’autre part être rattachées
de façon plus étroite au mouvement photoréaliste même
si celui-ci, dans sa version européenne, n’a pas la
même cohérence que son homologue américain.
L’inspiration est souvent photographique, la technique
sans faille mais le choix des thèmes, le travail sur
les couleurs, l’ombre et la lumière apportent une dimension
poétique, parfois mystérieuse aux œuvres qui différencient
ces peintres des photoréalistes stricts.
Une illustration de la défiance constatée vis à vis
de l’hyperréalisme américain, par les artistes européens
est illustrée par le texte de Bernard Lamarche-Vadel
qui s’exprime ainsi à propos de l’œuvre de Jean Olivier
Hucleux : 45« Sûre malédiction et falsification feutrée
de la tentative de Hucleux donc, que de l’avoir classée
et la percevoir encore sous la toiture de plomb de l’hyperréalisme
: le peintre y voit avec raison une atténuation catastrophique
de son œuvre pour au moins deux motifs relevant chacun
du paradoxe global du réalisme radical. Dans sa version
américaine l’hyperréalisme est encore et toujours un
art de transposition…Si la prétention manifeste de l’hyperréalisme
est de restituer sur le mode de l’adhésion spontanée,
la réalité, alors les procédures de miniaturisation
ou d’agrandissement, pour ne pas trop souligner les
procédures purement stylistiques de décentrement audacieux
du cadrage, sont autant de distorsions graves à l’enjeu
déclaré… le peintre hyperréaliste est le pantographe
minutieux et certes dénué de tout esprit d’une surface
qu’il réplique… à la réussite brillante et close de
la duplication d’un instantané de l’hyperréalisme, Hucleux
oppose la mélancolie européenne d’un objet incommensurable
à la conscience qui tente de se l’approprier. Epuisante
approche d’une ressemblance, d’un ajustement, d’une
gémellité des essences, de la puissance du double, pour
autant qu’à la réalité du référent des motifs doit correspondre
la réalité équivalente d’une présence ressuscitée par
la représentation »
C’est moins au niveau des sources qu’au niveau du
saisissement que les artistes européens marquent leur
profonde spécificité.
Certains se rapprochent de la tradition académique.
Avec une parfaite maîtrise technique, en particulier
dans le domaine du dessin, ils dressent l’inventaire
de la vie quotidienne. Tout dans leur travail peut être
classé selon les catégories traditionnelles telles que
les enseignent les écoles des Beaux-arts : nature morte,
nu, paysage…Cependant si leur vision reste tributaire
de celle des maîtres anciens, elle traduit aussi, au
niveau du sujet figuré, une inquiétude moderne. Le moulin
électrique ficelé dans du plastique que Isabel Quintanilla
place à coté d’un lapin écorché est un Christo involontaire.(1)
Chez Bruno Schmeltz symbole et réel sont assemblés dans
des fresques alliant le mécanique à l’animal, le minéral
à l’homme. Des personnages bien contemporains prennent
place dans des décors intemporels.
Tout aussi spectaculaires par leur exécution, les autoportraits
de Sandorfi rejoignent certaines manifestations de body
art.
On pense aussi à Claudio Bravo, Christopher Hamon Cheung,
Claude Yvel, ou Michael Leonard.
Chez d’autres la technique, bien que parfaite, est moins
académique et les sujets définitivement contemporains
: Pierre Barraya, Lillo Bellomo, Jacques Bodin, Chan
Kin Chang, Jacques Detrait, Ronald Bowen, Franz Gertsch,
Jean Olivier Hucleux, Georges Mimiague, Baldomero Pestana,
Gérard Schlosser, et plus récemment Gottfried Helnwein
ou Frank Bauer.
On est chez eux généralement loin des thèmes traditionnels
de l’hyperréalisme américain ce qui n’est pas le cas
chez Gregory Pelizzari ou François Bricq plus proches
du photoréalisme radical.
Il existe en fait en Europe autant de réalismes qu’il
y a de peintres, chacun contribuant à travers sa vision
personnelle, dans un style qui lui est propre à une
définition du réel.(4)
S’il semble aventureux de rallier ces artistes sous
une bannière commune et improbable d’un hyperréalisme
européen, il faut leur reconnaître une sensibilité et
une technique très proche de celles des artistes américains.
Un autre monde
L’hyperréalisme a trouvé un écho chez certains peintres
du Sud Est asiatique une dizaine d’années après son
explosion aux Etats-unis. Ceci permet d’expliquer que
la nature des thèmes traités par ces artistes diffère
de celle abordée par les artistes américains de la première
génération.
C’est moins l’aspect visuel de l’entourage quotidien
et urbain qui retient leur attention que l’aspect tactile
des éléments.
Ainsi Tschang Yseul Kim qui reproduit des gouttes d’eau,
Kim Chang–Young qui s’intéresse aux empreintes de pas
dans le sable ou bien encore Ko Young-Hoon qui reproduit
des pierres posées sur des pages d’écriture.
D’autres artistes sont plus proches d’un hyperréalisme
orthodoxe tels Hilo Chen, Chan Kin Chung ou Christopher
Hamon Cheung.
Ces derniers sont venus exercer leur talent aux Etats-unis
ou en Europe.
Existe t-il un hyperréalisme
français ?
Dans sa version américaine l’hyperréalisme est encore
et toujours un art de transposition.C’est moins au niveau
des sources qu’au niveau du saisissement que les artistes
européens marquent leur profonde spécificité.
Selon Bernard Lamarche –Vadel: « … à la réussite brillante
et close de la duplication d’un instantanné de l’hyperréalisme,
Hucleux oppose la mélancolie européeenne d’un objet
incommensurable à la conscience qui tente de se l’approprier.
Epuisante approche d’une ressemblance, d’un ajustement,
d’une gémellité des essences, de la puissance du double,
pour autant qu’à la réalité du référent des motifs doit
correspondre la réalité équivalente d’une présence ressuscitée
par la représentation »
Au travers de l’œuvre de 3 artistes hyperréalistes
français( François Bricq, Jean Bernard Pouchous, Jacques
Bodin), il conviendra de tracer les contours d’une tendance
hyperréaliste française voire européenne.
3 reproductions caractéristiques sont jointes pour information.
Pour plus de détails, consuter les pages consacrées
sur le site à ces artistes.
L’hyperréalisme reproduction mécanique de la
réalité ?
Toute la peinture hyperréaliste a affaire avec une
réalité de seconde main, une réalité remaniée, remaniée
d’abord par la photographie et ensuite par la reproduction
sur la toile.
Deux circuits se croisent constamment, celui de la
photo et celui des sujets représentés. Car la photographie
joue le rôle d’intercepteur. Elle tend un piège dans
lequel la réalité se fige. Ensuite l’objet est réanimé,
il retrouve sa respiration initiale, mais l’équation
mathématique entre la réalité et la fiction est rompue.
Prétendre que la peinture hyperréaliste se contente
de reproduire la réalité est un contresens puisque l’image
relègue bien souvent la réalité au second plan.
L’hyperréalisme est-il
trop propre ?
C’est cet aspect de l’hyperréalisme, mécanique mais
réducteur, qui a été reconnu par le grand public et
diffusé dans les médias.
Dans cet art, l’écriture personnelle est le plus
souvent absente, l’atmosphère réduite au minimum et
le sujet ramené au quotidien, l’artiste confirmant sa
personnalité par un thème caractéristique. C’est ce
que Peter Sager appelle leur marque commerciale.
Loin de faire l’unanimité cet aspect radical est
raillé par toute une frange de la critique.
« Où est la neutralité de cette peinture et de ces
peintres qui ignorent systématiquement toute une partie
de leur environnement (pour ne parler que de lui) et
que leur objectivité conduit à ne voir que des murs
neufs et nus, de la terre ratissée, des vitres immanquablement
propres, des moteurs toujours
neufs ? » s’exclame Desmonde Vallée.
D’autres peintres ont su négocier des ruptures dans
les thèmes, les sujets, en prenant une certaine distance
avec ce coté hypertechnique et glacé.
Ce qui différencie ces artistes des autres hyperréalistes
c’est qu’ils ne se soucient pas de noter la banalité
complexe des snack-bars, des semi-remorques, des rues
de banlieues, des cinémas provinciaux, des rodéos qu’ils
représentent. Ils ont investi d’autres champs d’investigation
artistique.
La peinture
et la photographie hyperréalistes sont-elles vraiment
propres ? On est quand même en droit de se méfier. C'est
le genre à nous balancer carré blanc sur fond blanc
et tout le gros fiasco qui tourne autour. Ses artistes
ont forcément quelque chose à cacher. Chuck Close, photographe
moderne, affirme que l'image n'est pas seulement une
pure reproduction du réel. Tout simplement à cause des
procédés techniques. La photographie, même la plus fidèle,
fait baver les contours et les couleurs débordent.
Alors, vraiment rien à se reprocher ? D'aucuns taxeront
même ces artistes de malades psychiatriques, à la limite
voire même carrément fétichistes. Impossible de rester
de marbre devant les moulages de Duane Harton qui reproduit
en série des visages ainsi que certaines parties du
corps. Mais n'oublions pas Don Eddy, hanté par la Volkswagen
bleue ou René Cottingham, bloqué sur les enseignes lumineuses.
Alors les surréalistes... euh non, les hyperréalistes,
de vrais allumés ?
Pourtant, à travers les obsessions
et la distorsion glacée du réel, se dégage une certaine
poésie et un lyrisme de l'humain. Même si les sujets
font allusion à la société de consommation, aliénante,
on évite quand même les scènes barbares ou pornographiques.
Comment ne pas s'attendrir devant les Noctambules d'Edward
Hopper ? Une femme rousse et vêtue de rouge, s'accoude
au zinc tout en scrutant son verre d'un air pensif.
A ses côtés, un homme vêtu à la Humphrey Bogart discute
avec le barman. Celui-ci, grand blond en uniforme blanc,
fait la vaisselle sous le comptoir. Dehors, c'est la
nuit. La nuit noire. On aperçoit même pas la lune entre
les gratte-ciels. La lueur verdâtre qui se répand sur
le trottoir vient de l'enseigne du café. Du coup, les
personnages ont vraiment l'air perdus dans une urbanité
qui leur totalement étrangère. Comme la toile qui s'intitule
Coucher de soleil sur la voix ferrée, devenue emblématique.
La cheminée rouge qui se détache dans le paysage immortalise
la solitude de notre humanité. Manquent plus qu'un troupeau
de buffles ou Johnny Jumper. Snif !!
Ce sentiment très pur se retrouve
dans les lignes de certaines photographies contemporaines.
François Bricks prend des hélices d'avion qu'il surnomme
« point de fuite » et Jean-Bernard Pouchous, dans «
Série naturalisme sexe n°4 », exhibe une baigneuse souriante
mais avec tous les effets possibles et imaginables.
C'est comme si on avait effectué toutes les commandes
photoshop en même temps. Et toc. C'est mécanique.
Les peintres eux-mêmes imitent les techniques photographiques
utilisées en publicité pour un effet « ultra-naturel.
» Tellement propre qu'on pourrait comparer l'hyperréalisme
à de la chimie organique. Avec un microscope, on verrait
que la peinture est composée de liant et de pigments
eux-mêmes constitués de molécules, d'atomes et d'électrons.
Les images se détruisent au fur et à mesure que l'on
pénètre dans l'infiniment petit. Halluciné ? Non. A
Beaubourg, il y a même une toile qui semble illustrer
ce phénomène : Pasadena 68 de Sigmun Polke. Vue de loin,
on ne voit qu'une tâche noire sur un fond blanc. De
plus près et étouffé par le flot des badauds, le visiteur
ne distingue plus qu'une alternance de pixels.
Alors nos hyperréalistes ? Inoffensifs
? Vraiment, pas de quoi fouetter un chat. De doux rêveurs
qui se soûlent d'une réalité pour mieux l'éviter. Max
Beckman qui peut tout à fait passer comme précurseur,
ne qualifiait-il pas la réalité de « transcendentale
? » Certains dessinateurs de presse arrivent à lui faire
vomir ses tripes pour lui faire cracher quasiment l'inverse.
Absurde mais très intéressant parce qu'on a enfin quelque
chose à se mettre sous la dent. Richard Estes, fondateur
du mouvement américain dans les années 60-70, le plus
engagé, explique ce phénomène comme suit. Il dit avoir
l'habitude de peindre un motif dans un coin de la toile
puis un autre ailleurs, etc. Simplement parce qu'il
est effrayé par le tout. Or c'est bien l'ensemble que
l'on perçoit en premier. C'est son image disloquée,
distendue. L'hyperréalisme ou « simulacre hallucinant
du réel », comme l'appelait Jean Clair, c'est la distorsion
mystificatrice d'une vérité glacée.