Objets inanimés...Still lifes.

 

  Oeuvres de Gilles Paul ESNAULT peintes selon les techniques traditionnelles de la peinture à l'huile.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1989 - L'Epte chez Monet / huile sur toile / 73x119 cm/ River Epte near Monet

"Champioux Tchang " - 2005 - huile sur medium - 100x75cm 2002 - La rose de Soulaines / 60x41cm/

 

 

Berry, lumière d'hiver - 1987 - huile sur toile

"Le récit d'Etana" - 2004 - huile sur médium - 100x75cm Chaise à Chypre /huile sur isorel/ 40x60cm / 2002

 

 

 

Champioux- France - Europe au 1er mai 2004" - 100x75cm

Orange à la poudre bleue - 2006 - Gilles ESNAULT  

 

 

 

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TRIBUNE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Panorama de la peinture hyperréaliste

(ex  Hyperrealism.net)

Introduction

Si l’Hyperréalisme ( terme français équivalent aux termes américains photorealism et superrealism ) a fait l’objet de nombreuses publications à l’époque de son explosion à la fin des années 60 et au début des années 70, il est par la suite devenu pratiquement impossible de trouver un article, une revue ou un ouvrage traitant le sujet selon une approche globale.
Comme s’il s’était agi d’un mouvement spasmodique de mode aussi vite oublié qu’il était apparu.
Or la plupart des peintres initiateurs de ce mouvement ont continué, enrichi et souvent diversifié leur œuvre, relayés par une, puis deux générations de nouveaux artistes.
Il semblait donc indispensable, 30 ans après son émergence, de faire un bilan de ce qui apparaît comme un mouvement majeur tant sur le plan de son histoire que de son actualité.

Prologue

Les rapports de l’homme avec la réalité ne sont jamais figés. Ils échappent constamment à quelque emprise que ce soit, car si l’homme fait la réalité, la réalité fait à son tour l’homme. C’est un rapport de force permanent ou il n’y a ni gagnant ni perdant. Mais au-delà du champ de bataille, c’est une symbiose qui s’opère. L’histoire n’en retient que quelques moments de rupture.
Si l’on se place dans le cadre de l’évolution de la création artistique, l’hyperréalisme représente un de ses moments de rupture, car il consacre ce qui hier était suspect voire sans intérêt. Rupture également parce que le travail artistique avait depuis quelques années tourné le dos à la peinture et depuis bien longtemps à la figuration qui renvoie à la réalité. (11)
Tout au long de la période pendant laquelle l’art abstrait a dominé, le réalisme a recherché une nouvelle identité tant en Europe qu’aux Etats-Unis. En se cramponnant à des traditions de style périmées et en refusant de rompre les liens avec l’iconographie qui y était rattachée, le réalisme avait pour la plus grande part dégénéré en une figuration purement stylistique, qui avait perdu tout contact avec la réalité et se trouvait dans l’impossibilité de se développer et d’incarner le réalisme des temps modernes. (3)
Né à la fin des années soixante le mouvement pourrait n’être considéré que comme l’un des nombreux avatars de la peinture moderne si les peintres qui ont initié le mouvement n’avaient continué de produire et d’améliorer leur technique, relayés par une puis deux générations d’artistes plus jeunes qui perpétuent et renouvellent la tradition

L’hyperréalisme n’est pas un mouvement au sens formel. Il n’a pas de manifeste et beaucoup de ses artistes ne se sont jamais rencontrés.
Peut-être y a t’il lieu de parler d’une sensibilité commune : une position qui s’établit à partir des relations existant entre l’artiste et son sujet. Ces relations se caractérisent par la distance à la fois affective et, par l’usage de la photographie, réelle, mais également par un engagement total et laborieux de l’artiste soucieux de rendre avec exactitude la forme, la lumière et la couleur .(5)
L’hyperréalisme est une tendance relativement unifiée ou chaque peintre traduit quasiment de la même manière le paysage contemporain et plus particulièrement les images d’une société moderne. Ce n’est pas le style qui les différencie mais le thème privilégié par chacun d’eux et la manière dont le sujet est vu.(4)
Rejetant la subjectivité affective propre à la peinture réaliste traditionnelle et académique, le peintre hyperréaliste ne dit pas au spectateur comment il doit ressentir le sujet, il affirme tout simplement qu’il existe et qu’il vaut la peine d’être regardé parce qu’il existe. Les efforts de l’artiste (souvent plusieurs mois de travail sur une même peinture) imprègnent les choses d’une signification nouvelle, mais elles ne sont ni surestimées ni sous estimées.
On a pu qualifier de « virtuoses » les hyperréalistes parce qu’ils parvenaient à une perfection telle que l’on en arrivait à confondre leurs toiles avec des photographies.(4)
Certains argumentent qu’ainsi ces peintres ne présenteraient qu’un simple constat froid de leur environnement, sans analyse subjective.
Au-delà de cette absence de commentaires directs, il paraît réducteur de ne considérer l’hyperréalisme que comme une représentation mécanique.
Cette apparente impersonnalité est en effet démentie par le fait que, ces peintres prenant eux-mêmes les photos à partir desquelles ils travaillent, une considérable latitude leur est laissée en termes de sujet, de disposition, d’éclairage, de composition et de couleurs.
De plus un grand nombre de peintres modifient la photo.
Enfin le fait de peindre laborieusement, ceci pendant des mois, ce que l’appareil photo peut instantanément reproduire sans effort n’est pas dénué de sens : le tableau n’est pas une photo et lors de ce lent processus d’effort humain, il acquiert sa propre personnalité pour délivrer une vision intensifiée et densifiée de ce qu’il représente.
En retour le tableau restitue lentement cette charge de travail et de recherche dont il a été imprégné.
Il se dégage d’autre part, au travers du caractère illusionniste de ces représentations minutieuses des moindres détails d’un reflet dans une vitre ou de chaque cheveu d’une coiffure, une folie fascinante et effrayante. Aussi, bien qu’il soit considéré comme froid et dépourvu de tout engagement, l’hyperréalisme présente un caractère héroïque : en choisissant délibérément de faire lentement ce que certains media peuvent réaliser instantanément et sans effort, il affirme la valeur de l’effort humain.(5)
On peut trouver dans cette vieille idée romantique de l’épuisement des accents de performance.
Il y en a beaucoup qui continuent à s’hypnotiser sur l’aspect illusionniste des images hyperréalistes. On se sent en quelque sorte complexé devant ce retour en force du figuratif. L’on oublie qu’il y a dans l’hyperréalisme beaucoup des qualités de l’illusionnisme ce qui est beaucoup plus important.


Un adorable leurre (6)

Les artistes contemporains n’ont jamais tant abusé du mot « travail » que depuis qu’ils ne font rien et n’ont jamais tant aligné la liste de leurs « travaux » que depuis que ceux-ci se sont réduits à des gestes le plus souvent passablement dérisoires et vains, comme d’envoyer des textes par la poste ou de coller des bandes verticales sur des murs. Alors en ce retournement nécessaire qui s’opère aujourd’hui, voit-on, comme réagissant contre cet oubli du corps dans lequel l’art s’est enfoncé, l’œuvre s’étant à ce point dématérialisée qu’elle exclut toute maîtrise ou tout simplement tout savoir-faire, l’artiste revenir derechef vers le corps en particulier dans ses deux formes extrêmes, inversées mais complémentaires, que sont le body art et l’hyperréalisme…Ainsi pour appliquer son pouvoir l’artiste hyperréaliste aurait-il besoin de ces prolongements artificiels des membres que sont le pinceau, le couteau à palette, l’aérographe, désormais compliqués de toute cette prothèse que sont l’appareil photographique, l’appareil de projection ou l’épiscope, le tout consistant toujours, de toute façon, à redoubler, prolonger ou projeter une image de soi vers le monde, c’est-à-dire d’établir un pont entre l’organisme et sa réalité, à ré instaurer, toujours, l’image d’un adorable leurre.

 

Le retour de la technique

L’hyperréalisme renonce à s’affranchir des contraintes et des limites de la technique.
Bien au contraire il retourne vers la peinture de chevalet. Il rétablit les procédés de la peinture conventionnelle tout en vidant celle-ci de son contenu.
Ce retour passionné à l’acte pictural s’est fait jour pendant une période d’abstinence picturale pendant laquelle les critères techniques et les critères d’appréciation se sont perdus.
L’histoire a cependant relégué le réalisme objectif dans une cabine de seconde classe.
Pour le grand art, on ne se contente pas d’une pure description. C’est seulement lorsque le sujet de la peinture a renoncé à la pure ressemblance et a opté pour une véritable signification, que l’histoire adopte son aspect artistique.
L’hyperréalisme, compte-rendu paisible et littéral des réalités visuelles occupe de ce fait encore une position embarrassante. Il existe cependant deux notions complémentaires, si on les place au-delà du dogme de modernité, qui plaident en faveur de l’art hyperréaliste : d’une part le réalisme est incontestablement lié au sujet et d’autre part comme le souligne Don Eddy, l’apparence du monde est vraiment plus excitante que l’apparence de l’art.

Sharp focus et Gigantic scale

Une des caractéristiques majeure de l’hyperréalisme est la représentation fréquente en gros plan et très détaillée d’une partie d’un ensemble (Sharp focus).
L’agrandissement démesuré d’un sujet est une autre forme d’abstraction : en séparant celui-ci de la réalité ordinaire il lui confère une nouvelle identité
( Gigantic scale).
Les peintures souvent de très grand format, font alors surgir des formes abstraites ou des constructions imaginaires qui révèlent quelque chose de l’ordre caché de l’environnement quotidien.
Les peintres s’attachent ainsi à faire apparaître diverses formes tirées des profondeurs de l’image et l’on est frappé par l’impression que corrélativement, les objets, les scènes familières deviennent des « miniatures du monde
Nous sommes redevables de l’expression Sharp focus à Sydney Janis qui l’a utilisée pour la première fois comme titre d’une exposition d’hyperréalistes dans sa galerie de New York en 1972. Il voulait opposer le Sharp focus au Gigantic scale titre qu’il donnera à sa seconde exposition réaliste.(7)

Le réel, le symbolique et l’imaginaire

L’historien de l’art américain Hal Foster, qui a appliqué dans son ouvrage intitulé The Return of the Real (1996), la division psychanalytique tripartite de la réalité énoncée par Jacques Lacan – le réel, le symbolique et l’imaginaire – considère l’hyperréalisme ( qu’il préfère appeler « superréalisme ») comme engagé dans une quête hyperbolique de l’apparence dont le but est de masquer une réalité refoulée. Le réel appréhendé de ce point de vue psychique est une zone d’obscurité située au cœur de l’existence, que nous souhaitons éviter et qui ne peut être représentée.
Selon Foster, de par l’angoisse que traduit son intérêt pour les surfaces brillantes et réfléchissantes, l’hyperréalisme exprime ce qu’il tente de dissimuler.(8)

Hyperréalisme et trompe l’œil

Confronté à une peinture hyperréaliste, vous n’avez pas l’illusion de regarder une moto, une vitrine de magasin, un flipper ou des bouteilles de ketchup.
Peu importe la précision avec laquelle les motifs sont reproduits, vous savez que vous êtes devant une image.
Le contexte n’est pas le bon, l’échelle est disproportionnée, le langage visuel est celui de la photographie.

Une société du spectacle

Le situationniste Guy Debord décrivit dans les années 60 comment la vie en collectivité fondée sur le commerce moderne constituait une « société du spectacle », une réalité irréelle où les images régissent les relations sociales. Lyotard et le sociologue Jean Baudrillard devaient également tenir compte de la notion de spectacle dans leurs écrits.
Ces deux théoriciens du post-modernisme voient dans la culture du capitalisme américain une façon de surmonter ou de supplanter la réalité, et un passage vers le simulacre, une région de désir illimité.(8)
Toute représentation de la réalité est un simulacre. C’est pourquoi la réalité reproduite est une fiction. Lorsqu’un peintre projette une photo sur une toile et peint ensuite d’après la photo projetée, il ne traduit en fin de compte que la fiction de la réalité qu’il a vécue, qu’il a pensée et qu’il a travaillée.
Le tableau hyperréaliste devient ainsi la réalité de cette fiction puisqu’il traduit sans ambiguïté tout le processus de saisie de cette réalité, et ce depuis sa perception jusqu’à sa restitution matérialisée.
Deux circuits se croisent constamment, celui de la photo et celui des sujets représentés. Car la photographie joue le rôle d’intercepteur. Elle tend un piège dans lequel la réalité se fige. Ensuite l’objet est réanimé, il retrouve sa respiration initiale, mais l’équation mathématique entre la réalité et la fiction est rompue.
Prétendre que la peinture hyperréaliste se contente de reproduire la réalité est un contresens puisque l’image relègue bien souvent la réalité au second plan.

Photographie : des rapports complexes

La profusion d’images véhiculées par la vidéo, le cinéma ou la photographie a changé notre manière de voir et les hyperréalistes enregistrent ces changements.
Aujourd’hui les images diffusées par les médias sont aussi importantes que les phénomènes réels. Elles modifient notre perception des phénomènes réels et contribuent à hiérarchiser leurs valeurs.
La photographie est ainsi au cœur du processus.
Toute la peinture hyperréaliste a ainsi affaire avec une réalité de seconde main, une réalité remaniée, remaniée d’abord par la photographie et ensuite par la reproduction sur la toile.
La photographie est au cœur du mouvement.(5)
Le peintre hyperréaliste se sert de la photographie souvent tout à fait consciemment pour rompre avec les habitudes de la représentation picturale classique.
John Salt fait ainsi remarquer que les photographies « permettaient de se débarrasser plus facilement de l’influence des autres peintres ».
L’idée que la photographie contribue à libérer l’artiste des anciennes formes de réalisme a été reprise par Tom Blackwell : « l’objectif déforme en fonction des conventions classiques de la perspective ou des besoins de la représentation picturale ».
Les hyperréalistes se servent donc de la photographie pour établir une distance entre eux et le sujet.
La photographie fait passer l’image d’un plan à trois dimensions à un plan à deux dimensions d’une manière qui exclut les choix de l’artiste, choix qui pourraient être fondés sur des préférences affectives ou psychologiques.
Néanmoins la photographie n’est pas considérée comme un simple outil par tous les artistes. Bien qu’ils l’utilisent pour se distancier du sujet et se libérer des conventions esthétiques du passé, la photographie constitue pour eux une nouvelle manière d’appréhender les sujets.
Les mêmes peintures ne pourraient pas être peintes sans photographies et la visualisation photographique fait partie de l’idée de la peinture.
« Je ne vois pas comment je pourrais faire l’un sans l’autre » dit Estes, décrivant le rapport étroit qui règne entre sa peinture et la photographie. (5)
En réalité Estes, comme beaucoup d’autres artistes, prend une liberté considérable avec la photographie : il prend plusieurs clichés d’un même sujet pour obtenir le maximum d’informations et ces informations sont ensuite intégrées dans la peinture.
Il convient ainsi de distinguer entre les peintres qui utilisent la photographie pour représenter ce que voit l’objectif et ceux qui utilisent celle-ci pour représenter ce que voit l’œil.
« Il y a des gens qui pensent qu’à partir d’une photo, on ne peut faire qu’une peinture. Mais on peut faire autant de peintures d’après une photo que d’après la vie réelle » remarque Chuck Close.
L’hyperréalisme a facilité une fertilisation croisée entre la peinture et la photographie. Ce dialogue permanent entre les deux techniques joue un rôle important dans l’art contemporain.
Les œuvres de Cindy Shermann, Andreas Gursky, Robert Longo, Jack Goldstein sont là pour en témoigner.
On n’entend pas dire à propos des œuvres hyperréalistes « c’est tout à fait la réalité », mais « c’est tout à fait une photo ». Cet illusionnisme ne devient que rarement le trompe l’œil d’un objet réel. Il rappelle toujours que la photo se trouve toujours entre la réalité et l’art et que ce monde d’entre deux fait l’objet de l’œuvre.
Ce n’est pas la réalité qui importe mais la photographie, car c’est celle-ci qui constitue le sujet de l’œuvre.
L’artiste saisit et communique le message de l’objectif. Il affirme l’intégrité de son sujet tout en visant à la perfection.
Il y a un enfin dans ces rapports ambigus un véritable problème avec la reproduction photographique des tableaux hyperréalistes. En effet celle-ci tend à revenir vers la source d’origine, la photo. De fait la peinture comme telle s’avère inphotographiable.
La reproduction de n’importe quelle œuvre de Picasso, Matisse ou Rembrandt vous dit quelque chose de ce à quoi la peinture ressemble alors qu’une reproduction d’un tableau hyperréaliste ressemble à un fac-similé de sa source photographique.
Selon Malcom Morley : « C’est une manière d’affirmer l’autonomie de la peinture comme objet, parce que seule la peinture vous dit quelque chose d’elle - même ».

L’envers de l’hyperréalisme : l’abstraction ?

Les peintres hyperréalistes ont été influencés par les expédients utilisés par les peintres abstraits : agrandissement ou distorsion de l’échelle, uniformité de la surface, gigantisme des œuvres, prééminence de l’image.
Par exemple le fait de traiter un sujet en isolant certains fragments de leur contexte et en les reproduisant agrandis de façon mimétique leur confère une identité propre avec souvent une forte charge d’abstraction.
Ceci se vérifie tout particulièrement sur certains détails de tableaux de Chuck Close qui se révèlent à l’observation des toiles abstraites.
L’agrandissement d’une partie de pneu chez Don Eddy devient un simple croisement de lignes plus proche de Stella que de l’hyperréalisme.
La froideur attribuée à la sensibilité hyperréaliste correspond à une manière abstraite de voir les choses sans commentaire et sans engagement.
L’hyperréalisme est plein de références à la peinture abstraite ainsi qu’en témoignent les compositions de Cottingham, de Blackwell, de Bowen ou de Detrait en Europe.
Même l’apparente frontalité d’Estes ou de Goings est composée et traitée dans un sens abstrait. Les reflets sont souvent utilisés, chez Pelizzari par exemple, comme éléments abstraits comme le sont les barrières et les lignes de stationnement dans l’œuvre d’Eddy.
De fait certains peintres hyperréalistes sont devenus abstraits et inversement.
La façon dont certains artistes préparent le sujet qu’ils vont reproduire est influencée non seulement par l’art abstrait mais aussi par le travail conceptuel.
Ainsi Stephen Posen prépare-il des sculptures à grande échelle au moyen de boites et d’étoffe qu’il reproduit ensuite fidèlement. On retrouve cette phase exploratoire qui consiste à faire des installations préalables à l’exécution de leurs toiles chez nombre d’artistes.

Une critique absente ?

L’hyperréalisme est l’un des rares récents courants innovateurs à bénéficier d’un large succès public, du moins aux Etats-Unis.
Il a fait l’objet de nombreuses expositions dans de nombreux pays et quelques ouvrages lui ont même été consacrés (cf. bibliographie)
Cependant, en dépit d’un succès populaire certain, l’hyperréalisme s’est heurté à une relative indifférence des critiques et des institutions.
Quand les conceptualistes ont abandonné les outils et les supports traditionnels au profit des performances et des installations, d’autres artistes, en réaction, sont retournés dans les ateliers.
Pour la communauté critique, ceci a constitué un contre-choc révolutionnaire avec des implications beaucoup plus choquantes que celles provoquées par la plus iconoclaste des stratégies développées par les Conceptualistes.
D’où un certain malaise entre le mouvement hyperréaliste et la critique.
L’hyperréalisme est une forme d’art exigeante et les peintres passent le plus clair de leur temps à peindre dans leurs ateliers ce qui laisse peu de disponibilité pour alimenter en informations la réflexion des médias et des critiques.
De plus les peintres hyperréalistes ont laissé au placard un certain nombre d’attributs propres aux acteurs du grand Art tels que le culte de la personnalité, le mythe du génie individuel, la démarche élitiste, ésotérique ou transcendantale.
Ils déjouent le sens commun qui veut que l’art soit une activité séparée, originale, surtout pas quelconque et que l’artiste soit engagé corps et âme dans une mystérieuse recherche de vérité et d’absolu et ainsi sapent l’autorité des médias et des systèmes de mise en spectacle de la réalité.
La figure du créateur s’efface au profit de celle plus modeste du passeur.
Ceci étant, ce phénomène s’inscrit plus largement dans la perte de statut de la peinture : la critique ou les commissaires des plus importantes manifestations internationales ont intégré dans leur discours une idée de la peinture comme activité passéiste au profit d’expressions telles que la vidéo, la performance ou paradoxalement la photographie qui leur semblent plus pertinentes. En dépit du relatif dédain affiché par la critique au jour le jour, les historiens d’art ont commencé à intégrer le mouvement dans leur réflexion. Ainsi des ouvrages lui sont-ils entièrement consacrés (Louis K. Meisel(12), (13), (14), John Arthur, Linda Chase(5), (13), Gregory Battcock(15), Christine Lindey, Edward Lucie Smith(16).
De nombreux artistes font d’autre part l’objet de monographies
(Charles Bell, Don Eddy, Richard Estes, Audrey Flack, Ralph Goings, Gottfried Helnwein, John Kacere, Malcom Morley,Sandorfi, Gérard Schlosser , Bruno Schmeltz).

 

Les pionniers américains

La vogue de l’hyperréalisme a pu faire croire à une renaissance de la figuration, alors qu’il ne s’agissait que d’un prolongement logique de la tradition réaliste américaine. Les Etats-unis ont connu jusqu’au Pop art, qui chronologiquement a précédé l’arrivée de l’hyperréalisme, nombre de démarches figuratives telles celles d’Edward Hopper, Charles Sheeler ou Andrew Wyeth.
Le pop art avec ses antécédents néo-dadas a constitué à la fois la synthèse du courant réaliste et du courant abstrait et l’apothéose dithyrambique de l’american way of life. A vrai dire il constitue l’un des points culminants du réalisme américain et l’esprit des Wesselmann, Rosenquist et Oldenbourg est fondamentalement celui des Demuth ou des Nigel Spencer. Ce style 100% américain atteint son apogée au moment où le monde entier subit la fascination de l’Amérique, copie son genre de vie, et son folklore urbain, se passionne pour ses mythologies quotidiennes, du western à la chanson, adore ses idoles, imite ses voyous au grand cœur.
La nature américaine d’un Raushenberg ou d’un Warhol s’identifie aux archétypes du folklore moderne international, elle illustre l’entière hiérarchie des valeurs d’une civilisation planétaire.(7)
En reportant l’attention sur l’environnement urbain, sur le pouvoir de fascination de l’image diffusée en série par les médias modernes, les pop artistes ont revalorisé la figuration qui alors semblait être le lot presque exclusif des peintres académiques.
D’autre part, à cette même époque, l’image de l’Amérique tendait inexorablement à l’effritement et après avoir imposé sa loi au monde, la peinture américaine est rentrée chez elle et au terme de cette introspection objective, s’est retrouvée, à travers l’hyperréalisme, telle qu’elle a toujours été, régionaliste, terrienne ou industrielle, inexorablement enracinée dans la réalité physique et humaine(7)
En réalité peu d’artistes hyperréalistes pensent avoir subi l’influence directe du Pop art et parmi les artistes pop, seul James Rosenquist fait figure de référence. Il est celui dont ils sentent l’œuvre comme étant la plus proche de leurs préoccupations. Plusieurs de ses tableaux, en effet, proposent une image simple, immédiatement reconnaissable et qui peut évoquer tel ou tel aspect de l’hyperréalisme, bien que le propos en soit tout autre. A la différence des tableaux hyperréalistes, la peinture de Rosenquist est toujours un commentaire – moral ou philosophique – du monde moderne, jamais un simple constat.(1)
D’une manière plus générale, comme Estes l’a remarqué « l’ennui avec le Pop art est qu’il est trop bavard. C’est un jeu intellectuel. Une fois qu’on a compris le message, ça perd tout intérêt ».
Malgré cela les hyperréalistes reconnaissent leur dette à l’égard du pop art qui a ouvert la voie au traitement des sujets banals et qui a rendu possible une peinture figurative sans référence au passé, aux vieux maîtres et aux considérations académiques.19
L’hyperréalisme a emprunté au pop art l’iconographie de la vie quotidienne. Il célèbre l’image banale et banalise l’image culturelle.
Parallèlement, le vieux style consciencieusement réaliste de peinture d’après nature n’a jamais complètement disparu, restant faiblement présent.
Jack Beal, Al Leslie, Philip Pearlstein( qui ont exprimé un mépris traditionnel à l’encontre des artistes qui utilisent des photographies) se sont mis à peindre une nouvelle figure d’après nature . Leur maladresse consciencieuse, leur fixité intense, alliées à un centre d’intérêt changeant qui ne réussit jamais tout à fait à localiser les surfaces dans l’espace, donnent à leurs œuvres une distorsion manifeste.
En essayant de faire renaître une tradition d’art et de style figuratifs, ils paraissent diamétralement opposés au photoréalisme mais en raison de la dureté et de la froideur de leur travail, on les place parfois, à tort, dans la catégorie des hyperréalistes.(9)
L’hyperréalisme américain est généralement considéré comme étant un style mécanistique et il n’est pas surprenant de constater que nombre de peintres sont fascinés par les automobiles ( Don Eddy, Robert Bechtle, John Salt, Ralph Goings, Ron Kleemann), les motos ( David Parrish, Tom Blackwell), les avions (Chriss Cross, Tom Blackwell), les usines ( Randy Dudley), les vues urbaines ( Richard Estes, Noël Mahaffey, Robert Gniewek, David Cone, Anthony Brunelli, Bertrand Meniel).
Tous ces thèmes relèvent du folklore urbain dans ses aspects les plus universellement reconnus. La société de consommation bat son plein, elle a revêtu ses habits du dimanche : les restaurants sont propres, les rues sont nettoyées, les néons brillent de tous leurs tubes, les motos sont clinquantes. Rien n’a été oublié par les produits détergents pas même les carrosseries dans un cimetière de voitures. Tout est révélé avec une grande netteté comme s’il s’agissait de la promotion publicitaire d’un produit bien emballé ou de cartes postales éditées par un office de tourisme.(11)
C’est cet aspect de l’hyperréalisme, mécanique mais réducteur, qui a été reconnu par le grand public et diffusé dans les médias.
Dans cet art, l’écriture personnelle est le plus souvent absente, l’atmosphère réduite au minimum et le sujet ramené au quotidien, l’artiste confirmant sa personnalité par un thème caractéristique. C’est ce que Peter Sager appelle leur marque commerciale.
Loin de faire l’unanimité cet aspect radical est raillé par toute une frange de la critique.
« Où est la neutralité de cette peinture et de ces peintres qui ignorent systématiquement toute une partie de leur environnement (pour ne parler que de lui) et que leur objectivité conduit à ne voir que des murs neufs et nus, de la terre ratissée, des vitres immanquablement propres, des moteurs toujours neufs ? » s’exclame Desmonde Vallée.(10)
Cet hyperréalisme radical, loin de se répéter, s’est perfectionné pour atteindre un paroxysme technique dans les dernières œuvres de Charles Bell ou de Richard Estes pour ne citer qu’eux.
D’autres artistes, même s’ ils adhèrent à la beauté des carrosseries polies des automobiles, des vitrines ou à celles des postes à essence, traitent des sujets évoquant l’ ère coloniale, l’art déco des années 20 ou puisent leur inspiration dans les années 50 rehaussant par là même l’intensité émotionnelle de leurs sujets.
Quand les intellectuels européens, avec tout leur snobisme, refusent de céder à la nostalgie, ils ne témoignent jamais que d’un dilemme européen, ou culture et culture de masse sont des notions inconciliables. Une telle antithèse n’ a jamais existé, semble-t-il aux Etats Unis.
Enfin, d’autres peintres ont su négocier des ruptures dans les thèmes, les sujets, en prenant une certaine distance avec ce coté hyper technique et glacé.
Ce qui différencie ces artistes des autres hyperréalistes c’est qu’ils ne se soucient pas de noter la banalité complexe des snack-bars, des semi-remorques, des rues de banlieues, des cinémas provinciaux, des rodéos et de toutes les tranches de vie de l’Amérique populaire qu’ils représentent. Ils ont investi
d’autres champs d’investigation artistique.
Ainsi la représentation des visages de Chuck Close, des corps de John Kacere, des chevaux de Richard Mac Lean ou les scènes de la mythologie reproduites par John Clem Clarke appartiennent eux aussi de plein droit à la peinture hyperréaliste.
Il en est de même des paysages de Ben Schonzeit ou des intérieurs de Jack Mendenhall ou Douglas Bond.
Les œuvres de Don Eddy, d’Audrey Flack, de Ben Shonzeit, de Chuck Close ou de Joseph Raffael font état de la plus grande liberté thématique et témoignent que le langage hyperréaliste n’est pas un système clos et figé comme pourrait le laisser penser une lecture simpliste et partisane.

L’école européenne : en marge d’un certain réalisme européen

Les artistes européens n’ont pas participé à l’éclosion du mouvement hyperréaliste.
Cette forme d’art n’est parvenue en Europe qu’après avoir été manipulée, agrémentée de commentaires et parée de qualificatifs : elle se disait déjà radical réaliste, hyperréaliste ou photoréaliste quand elle atteignit l’Europe avec la septième Biennale des jeunes artistes à Paris en 1971, et la cinquième Documenta de Cassel en 1972.
Cette manifestation eut pour thème le réalisme contemporain. Si Harald Szeemann, son organisateur, accueillit sous ce titre une grande diversité d’œuvres d’art, la contribution la plus remarquable fût toutefois celle de
l’hyperréalisme américain.
Les artistes européens sont restés étrangers à la genèse et au développement du photoréalisme.
Il serait absurde dès lors, d’exiger que le réalisme européen corresponde avec ce qui est américain d’origine, comme il serait tout aussi absurde de fermer les yeux sur un réalisme spécifiquement européen qui est né et s’est développé avec autant d’authenticité, dans le contexte social, politique et culturel qui est le sien.
Aux sources américaines de l’hyperréalisme, il serait totalement arbitraire de vouloir opposer, en ce qui concerne les réalistes européens, des sources exclusivement régionales. La circulation immédiate de l’information sur les recherches artistiques a depuis longtemps rendu caduque tout isolationnisme d’école.1
Entre 1964 et 1970 de nombreuses œuvres plus ou moins liées au Pop Art apparurent en Europe, rassemblées à l’occasion d’expositions à thèmes telles que Mythologies quotidiennes (1964), la Figuration Narrative dans l’art contemporain (1965) ou Bande dessinée et Figuration Narrative (1967).
Ainsi que le suggèrent ces intitulés, les Européens utilisaient l’imagerie contemporaine comme point de départ pour diverses formes d’une figuration dite narrative qui se différenciait nettement du courant pop des Etats-unis ou de Grande-Bretagne, essentiellement statique et emblématique.
Parfois accusés d’être cinématographiques, publicitaires, d’utiliser les codes de la bande dessinée ou de céder à l’anecdote, aucun de ces artistes ne se résout à utiliser systématiquement les techniques mécaniques de la reproduction; ils persistent tous à travailler à la main. Ils ne se résignent pas à laisser la peinture déserter le terrain des images et à abandonner ce dernier tout entier aux media de masse.
Mais même s’ils obéissent aux mêmes impératifs techniques que les hyperréalistes, cette génération d’artistes européens a produit quantité d’œuvres qui bien que d’inspiration photographique présentent des prolongements philosophiques, politiques, moraux ou sentimentaux.
Hervé Télémaque, Valerio Adami, Jacques Monory, Peter Klasen, Bernard Rancillac, Gudmundur Erro, Peter Stampfli, Gilles Aillaud, Gerhard Richter, Equipo Chronica, Figuration Critique ou le « Superhumanisme » des artistes de la Nicolas Treadwell Gallery (Eric Scott, Paul Roberts, Graham Dean …) sont représentatifs de ce courant

Ces peintres ont généralement exposé des réticences, voire une certaine condescendance, vis-à-vis de l’hyperréalisme américain.
A ce titre, il est donc plus adapté de parler de réalistes européens.
Il a été souvent affirmé que les peintres européens qui utilisent des techniques hyperréalistes ne se contentent pas d’un simple constat du monde environnant mais en livrent une analyse subjective.
Ainsi ce ne serait pas tant les images ou les objets qui les intéressent que leur signification nécessairement critique, poétique voire humoristique. Ainsi l’interprétation du quotidien que propose Richter, très grise, s’oppose au style commercial du Pop. Mais inversement c’est justement le coté commercial et superficiel du Pop américain qui fascina certains peintres et intellectuels français.
Le succès international des artistes américains à partir de la fin des années 50 plongea le monde de l’art en France dans une crise face à laquelle l’américanisation constituait une réponse.
Le Pop Art français( tout comme le Nouveau Réalisme) se développa dans ce contexte, qui influença également les tableaux que Jacques Monory peignit dans les années (4)
Monory un des nombreux peintres français dont le travail s’inspirait de la photographie et du Pop Art américain, était totalement imprégné de culture américaine. Meurtre N°10/2(1968) par son échelle « américaine » et son obsession de la surface à strates multiples, est à cet égard très intéressant et préfigure en fait certaines caractéristiques de l’hyperréalisme américain.(8)
Certaines individualités peuvent d’autre part être rattachées de façon plus étroite au mouvement photoréaliste même si celui-ci, dans sa version européenne, n’a pas la même cohérence que son homologue américain.
L’inspiration est souvent photographique, la technique sans faille mais le choix des thèmes, le travail sur les couleurs, l’ombre et la lumière apportent une dimension poétique, parfois mystérieuse aux œuvres qui différencient ces peintres des photoréalistes stricts.
Une illustration de la défiance constatée vis à vis de l’hyperréalisme américain, par les artistes européens est illustrée par le texte de Bernard Lamarche-Vadel qui s’exprime ainsi à propos de l’œuvre de Jean Olivier Hucleux : 45« Sûre malédiction et falsification feutrée de la tentative de Hucleux donc, que de l’avoir classée et la percevoir encore sous la toiture de plomb de l’hyperréalisme : le peintre y voit avec raison une atténuation catastrophique de son œuvre pour au moins deux motifs relevant chacun du paradoxe global du réalisme radical. Dans sa version américaine l’hyperréalisme est encore et toujours un art de transposition…Si la prétention manifeste de l’hyperréalisme est de restituer sur le mode de l’adhésion spontanée, la réalité, alors les procédures de miniaturisation ou d’agrandissement, pour ne pas trop souligner les procédures purement stylistiques de décentrement audacieux du cadrage, sont autant de distorsions graves à l’enjeu déclaré… le peintre hyperréaliste est le pantographe minutieux et certes dénué de tout esprit d’une surface qu’il réplique… à la réussite brillante et close de la duplication d’un instantané de l’hyperréalisme, Hucleux oppose la mélancolie européenne d’un objet incommensurable à la conscience qui tente de se l’approprier. Epuisante approche d’une ressemblance, d’un ajustement, d’une gémellité des essences, de la puissance du double, pour autant qu’à la réalité du référent des motifs doit correspondre la réalité équivalente d’une présence ressuscitée par la représentation »

C’est moins au niveau des sources qu’au niveau du saisissement que les artistes européens marquent leur profonde spécificité.
Certains se rapprochent de la tradition académique. Avec une parfaite maîtrise technique, en particulier dans le domaine du dessin, ils dressent l’inventaire de la vie quotidienne. Tout dans leur travail peut être classé selon les catégories traditionnelles telles que les enseignent les écoles des Beaux-arts : nature morte, nu, paysage…Cependant si leur vision reste tributaire de celle des maîtres anciens, elle traduit aussi, au niveau du sujet figuré, une inquiétude moderne. Le moulin électrique ficelé dans du plastique que Isabel Quintanilla place à coté d’un lapin écorché est un Christo involontaire.(1)
Chez Bruno Schmeltz symbole et réel sont assemblés dans des fresques alliant le mécanique à l’animal, le minéral à l’homme. Des personnages bien contemporains prennent place dans des décors intemporels.
Tout aussi spectaculaires par leur exécution, les autoportraits de Sandorfi rejoignent certaines manifestations de body art.
On pense aussi à Claudio Bravo, Christopher Hamon Cheung, Claude Yvel, ou Michael Leonard.
Chez d’autres la technique, bien que parfaite, est moins académique et les sujets définitivement contemporains : Pierre Barraya, Lillo Bellomo, Jacques Bodin, Chan Kin Chang, Jacques Detrait, Ronald Bowen, Franz Gertsch, Jean Olivier Hucleux, Georges Mimiague, Baldomero Pestana, Gérard Schlosser, et plus récemment Gottfried Helnwein ou Frank Bauer.
On est chez eux généralement loin des thèmes traditionnels de l’hyperréalisme américain ce qui n’est pas le cas chez Gregory Pelizzari ou François Bricq plus proches du photoréalisme radical.
Il existe en fait en Europe autant de réalismes qu’il y a de peintres, chacun contribuant à travers sa vision personnelle, dans un style qui lui est propre à une définition du réel.(4)

S’il semble aventureux de rallier ces artistes sous une bannière commune et improbable d’un hyperréalisme européen, il faut leur reconnaître une sensibilité et une technique très proche de celles des artistes américains.


Un autre monde

L’hyperréalisme a trouvé un écho chez certains peintres du Sud Est asiatique une dizaine d’années après son explosion aux Etats-unis. Ceci permet d’expliquer que la nature des thèmes traités par ces artistes diffère de celle abordée par les artistes américains de la première génération.
C’est moins l’aspect visuel de l’entourage quotidien et urbain qui retient leur attention que l’aspect tactile des éléments.
Ainsi Tschang Yseul Kim qui reproduit des gouttes d’eau, Kim Chang–Young qui s’intéresse aux empreintes de pas dans le sable ou bien encore Ko Young-Hoon qui reproduit des pierres posées sur des pages d’écriture.
D’autres artistes sont plus proches d’un hyperréalisme orthodoxe tels Hilo Chen, Chan Kin Chung ou Christopher Hamon Cheung.
Ces derniers sont venus exercer leur talent aux Etats-unis ou en Europe.

Existe t-il un hyperréalisme français ?

Dans sa version américaine l’hyperréalisme est encore et toujours un art de transposition.C’est moins au niveau des sources qu’au niveau du saisissement que les artistes européens marquent leur profonde spécificité.
Selon Bernard Lamarche –Vadel: « … à la réussite brillante et close de la duplication d’un instantanné de l’hyperréalisme, Hucleux oppose la mélancolie européeenne d’un objet incommensurable à la conscience qui tente de se l’approprier. Epuisante approche d’une ressemblance, d’un ajustement, d’une gémellité des essences, de la puissance du double, pour autant qu’à la réalité du référent des motifs doit correspondre la réalité équivalente d’une présence ressuscitée par la représentation »

Au travers de l’œuvre de 3 artistes hyperréalistes français( François Bricq, Jean Bernard Pouchous, Jacques Bodin), il conviendra de tracer les contours d’une tendance hyperréaliste française voire européenne.
3 reproductions caractéristiques sont jointes pour information.
Pour plus de détails, consuter les pages consacrées sur le site à ces artistes.

L’hyperréalisme reproduction mécanique de la réalité ?

Toute la peinture hyperréaliste a affaire avec une réalité de seconde main, une réalité remaniée, remaniée d’abord par la photographie et ensuite par la reproduction sur la toile.

Deux circuits se croisent constamment, celui de la photo et celui des sujets représentés. Car la photographie joue le rôle d’intercepteur. Elle tend un piège dans lequel la réalité se fige. Ensuite l’objet est réanimé, il retrouve sa respiration initiale, mais l’équation mathématique entre la réalité et la fiction est rompue.

Prétendre que la peinture hyperréaliste se contente de reproduire la réalité est un contresens puisque l’image relègue bien souvent la réalité au second plan.

 

L’hyperréalisme est-il trop propre ?

C’est cet aspect de l’hyperréalisme, mécanique mais réducteur, qui a été reconnu par le grand public et diffusé dans les médias.

Dans cet art, l’écriture personnelle est le plus souvent absente, l’atmosphère réduite au minimum et le sujet ramené au quotidien, l’artiste confirmant sa personnalité par un thème caractéristique. C’est ce que Peter Sager appelle leur marque commerciale.

Loin de faire l’unanimité cet aspect radical est raillé par toute une frange de la critique.

« Où est la neutralité de cette peinture et de ces peintres qui ignorent systématiquement toute une partie de leur environnement (pour ne parler que de lui) et que leur objectivité conduit à ne voir que des murs neufs et nus, de la terre ratissée, des vitres immanquablement propres, des moteurs toujours

neufs ? » s’exclame Desmonde Vallée.

D’autres peintres ont su négocier des ruptures dans les thèmes, les sujets, en prenant une certaine distance avec ce coté hypertechnique et glacé.

Ce qui différencie ces artistes des autres hyperréalistes c’est qu’ils ne se soucient pas de noter la banalité complexe des snack-bars, des semi-remorques, des rues de banlieues, des cinémas provinciaux, des rodéos qu’ils représentent. Ils ont investi d’autres champs d’investigation artistique.
 

La peinture et la photographie hyperréalistes sont-elles vraiment propres ? On est quand même en droit de se méfier. C'est le genre à nous balancer carré blanc sur fond blanc et tout le gros fiasco qui tourne autour. Ses artistes ont forcément quelque chose à cacher. Chuck Close, photographe moderne, affirme que l'image n'est pas seulement une pure reproduction du réel. Tout simplement à cause des procédés techniques. La photographie, même la plus fidèle, fait baver les contours et les couleurs débordent.

Alors, vraiment rien à se reprocher ? D'aucuns taxeront même ces artistes de malades psychiatriques, à la limite voire même carrément fétichistes. Impossible de rester de marbre devant les moulages de Duane Harton qui reproduit en série des visages ainsi que certaines parties du corps. Mais n'oublions pas Don Eddy, hanté par la Volkswagen bleue ou René Cottingham, bloqué sur les enseignes lumineuses. Alors les surréalistes... euh non, les hyperréalistes, de vrais allumés ?

Pourtant, à travers les obsessions et la distorsion glacée du réel, se dégage une certaine poésie et un lyrisme de l'humain. Même si les sujets font allusion à la société de consommation, aliénante, on évite quand même les scènes barbares ou pornographiques. Comment ne pas s'attendrir devant les Noctambules d'Edward Hopper ? Une femme rousse et vêtue de rouge, s'accoude au zinc tout en scrutant son verre d'un air pensif. A ses côtés, un homme vêtu à la Humphrey Bogart discute avec le barman. Celui-ci, grand blond en uniforme blanc, fait la vaisselle sous le comptoir. Dehors, c'est la nuit. La nuit noire. On aperçoit même pas la lune entre les gratte-ciels. La lueur verdâtre qui se répand sur le trottoir vient de l'enseigne du café. Du coup, les personnages ont vraiment l'air perdus dans une urbanité qui leur totalement étrangère. Comme la toile qui s'intitule Coucher de soleil sur la voix ferrée, devenue emblématique. La cheminée rouge qui se détache dans le paysage immortalise la solitude de notre humanité. Manquent plus qu'un troupeau de buffles ou Johnny Jumper. Snif !!

Ce sentiment très pur se retrouve dans les lignes de certaines photographies contemporaines. François Bricks prend des hélices d'avion qu'il surnomme « point de fuite » et Jean-Bernard Pouchous, dans « Série naturalisme sexe n°4 », exhibe une baigneuse souriante mais avec tous les effets possibles et imaginables. C'est comme si on avait effectué toutes les commandes photoshop en même temps. Et toc. C'est mécanique. Les peintres eux-mêmes imitent les techniques photographiques utilisées en publicité pour un effet « ultra-naturel. » Tellement propre qu'on pourrait comparer l'hyperréalisme à de la chimie organique. Avec un microscope, on verrait que la peinture est composée de liant et de pigments eux-mêmes constitués de molécules, d'atomes et d'électrons. Les images se détruisent au fur et à mesure que l'on pénètre dans l'infiniment petit. Halluciné ? Non. A Beaubourg, il y a même une toile qui semble illustrer ce phénomène : Pasadena 68 de Sigmun Polke. Vue de loin, on ne voit qu'une tâche noire sur un fond blanc. De plus près et étouffé par le flot des badauds, le visiteur ne distingue plus qu'une alternance de pixels.

Alors nos hyperréalistes ? Inoffensifs ? Vraiment, pas de quoi fouetter un chat. De doux rêveurs qui se soûlent d'une réalité pour mieux l'éviter. Max Beckman qui peut tout à fait passer comme précurseur, ne qualifiait-il pas la réalité de « transcendentale ? » Certains dessinateurs de presse arrivent à lui faire vomir ses tripes pour lui faire cracher quasiment l'inverse. Absurde mais très intéressant parce qu'on a enfin quelque chose à se mettre sous la dent. Richard Estes, fondateur du mouvement américain dans les années 60-70, le plus engagé, explique ce phénomène comme suit. Il dit avoir l'habitude de peindre un motif dans un coin de la toile puis un autre ailleurs, etc. Simplement parce qu'il est effrayé par le tout. Or c'est bien l'ensemble que l'on perçoit en premier. C'est son image disloquée, distendue. L'hyperréalisme ou « simulacre hallucinant du réel », comme l'appelait Jean Clair, c'est la distorsion mystificatrice d'une vérité glacée.